ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE :
De quelques ouvrages récents en histoire économique (1)
Jacques Brasseul
CRERI, Université de Toulon-Var
Les livres recensés ici, à l'exception de La première révolution industrielle de Verley, ont en commun leur volume : plus de 700 pages serrées pour l'Échelle du monde, et trois tomes d'environ 850 pages chacun pour Victoires et déboires. Autrement dit, il s'agit plus de textes de références, de sommes, que d'ouvrages pratiques pour la masse des étudiants et la plupart des professeurs. Ils ne seront pas entièrement lus, mais plutôt consultés pour répondre à des interrogations précises. On touche ici à des problèmes propres à l'histoire économique et aussi l'histoire en général : d'une part, l'écart entre les heures de cours réduites qui sont dispensées et le contenu important des ouvrages proposés, et d'autre part, la tendance dans ces disciplines à faire trop large par rapport aux capacités des lecteurs, tant est immense le champ d'étude. Pour résoudre ces difficultés, la voie choisie par Verley est celle d'un mémento pour les étudiants (1999a), un ouvrage moyen prévu pour un large public (1997a), et un volume important de recherche dont la diffusion sera forcément plus restreinte (1997b) ; celle de Bairoch consiste en un travail complet mais divisé en trois livres de poche, selon la période. Avec nos deux auteurs, le lecteur se voit ainsi placé devant une large gamme et pourra choisir plus aisément en fonction de son temps, ses intérêts et ses objectifs.
Paul BAIROCH, Victoires et déboires, Histoire économique et sociale du monde du XVIe siècle à nos jours, trois volumes : tome 1, 662 p. ; tome 2, 1015 p. ; tome 3, 1111 p., Folio/Histoire, Paris : Gallimard, 1997
(Anne-Marie Piuz a rédigé le chapitre I du premier volume sur Les Économies traditionnelles en Europe, p. 135 à 214)
"Now, what I want is Facts. Teach these boys and girls nothing but Facts. Facts alone are wanted in life. Plant nothing else, and root out everything else. You can only form the minds of reasoning animals upon Facts: nothing else will ever be of any service to them. This is the principle on which I bring up my own children, and this is the principle on which I bring up these children. Stick to Facts, sir!" Charles Dickens, Hard Times, 1854
Paul Bairoch a disparu récemment, le 12 février 1999[1]. Il était né à Anvers en 1930, avait étudié à l'université de Bruxelles, puis travaillé au GATT, avant de parcourir une carrière d'universitaire à Montréal, à la Sorbonne, au Collège de France et à l'université de Genève où il enseignait l'histoire économique depuis plus de vingt ans. Son itinéraire, de la Belgique à la Suisse en passant par le Québec et la France, a été jalonné d'études économiques, historiques et statistiques publiées en France et à l'étranger (surtout dans le monde anglo-saxon). Ces travaux lui ont acquis une réputation internationale comme l'un des maîtres de sa discipline.
Son dernier livre, Victoires et déboires[2], un ouvrage monumental de trois volumes — mais publié directement dans une collection de poche réputée — va de la Renaissance à nos jours. Il est issu de décennies de cours dispensés à l'université et de nombreux livres publiés depuis les années soixante. La sagesse, la connaissance et l'expérience ainsi accumulées trouvent leur expression dans cet ouvrage de référence. Des statistiques éclairantes sont constamment fournies sous forme de tableaux synthétiques. Un exemple entre cent est celui de la page 451 (t. 1) où l'on voit qu'entre le début du XIXe et la fin du XXe siècle, les pays de peuplement européen hors du continent sont passés de 3% de la population de l'Europe et 4% de sa production, à 47% et 78%. L'histoire racontée par Bairoch est toujours vivante, elle est constamment illustrée de citations d'époque (par exemple les phrases terribles de Villermé sur les conditions sociales, t. 1, p. 617 sq.) ou bien d'anecdotes passionnantes comme celle concernant la fermeture du Japon (p. 500, t 1) : "Lorsque, en 1640, un navire portugais chercha à entrer en contact, le shogun arrêta les membres et les décapita tous, à l'exception de trois d'entre eux renvoyés avec le message suivant : « Dites à l'Occident qu'il fasse comme si nous n'existions plus »".
La démarche adoptée par l'auteur couronne les préoccupations de toute une vie : il s'agit de combiner d'une part l'étude du développement et des pays pauvres, illustrée par son ouvrage classique Le Tiers monde dans l'impasse (1971), et d'autre part l'histoire économique depuis son non moins classique La Révolution industrielle et le sous-développement (1963). Les deux disciplines, Histoire économique et Économie du développement, entretiennent des liens évidents, puisqu'une grande partie de la première s'attache à l'analyse du processus de démarrage dans les pays européens lors de la révolution industrielle, c'est-à-dire à la façon dont des pays pauvres et ruraux se sont développés, analyse qui peut aider à la compréhension de la croissance des pays en voie de développement, objet principal de la seconde. Le livre de Bairoch a donc cette originalité d'accorder une place équivalente à l'histoire économique des pays et des continents non européens, périphériques, le futur tiers monde, et à celle des pays d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord, le futur monde développé. Là où la plupart des manuels d'histoire des faits économiques se concentrent sur les pays initiateurs et suiveurs de la révolution industrielle comme la Grande-Bretagne et la France, puis l'Allemagne, les États-Unis, la Russie, le Japon, celui-ci s'élargit au cadre planétaire. Les pays périphériques ou de petite taille en Europe ne sont pas oubliés dans cette histoire économique totale. Dans quel autre manuel pourrait-on trouver un chapitre de 65 pages (t. 1) sur le développement des petits pays d'Europe (Portugal, Danemark, Grèce, Bulgarie, Serbie, Albanie, Irlande, Finlande, etc.) ? Le fait que l'auteur soit Belge de naissance et Suisse d'adoption n'est sans doute pas étranger à cette attention, rare dans les ouvrages français ou britanniques. Mais bien au delà du continent européen, Bairoch utilise aussi sa vaste connaissance du tiers monde pour nous rappeler que l'univers ne se limite pas à notre pré carré.
Le premier tome va des origines du développement économique, à l'époque néolithique, jusqu'à la révolution industrielle des XVIIIe-XIXe siècles. Un prologue analyse les grandes ruptures dans l'histoire de l'humanité depuis dix mille ans et une première partie traite de la période 1500 à 1850 dans les sociétés occidentales. Le deuxième tome étudie le XIXe siècle dans les sociétés en cours d'industrialisation (IIème partie) et la période allant de 1492 à 1913 pour les sociétés non occidentales (IIIème partie). Enfin le dernier volume présente l'évolution économique au XXe siècle dans les pays développés (IVème partie) et dans les pays du tiers monde (Vème partie). Il s'agit donc d'un ouvrage complet (plus complet en réalité que ne l'indique son sous-titre), propre à satisfaire le souci d'exhaustivité du lecteur, qui englobe toute l'histoire économique de l'humanité, de la préhistoire aux années 1990.
Malgré ses immenses qualités, le livre présente aussi des faiblesses. Il est impossible de lire un ouvrage de 2500 pages sans trouver à redire ici ou là. On trouvera ci-dessous des remarques portant sur chacun des tomes, ou bien regroupées sur un thème précis, comme celui de la désindustrialisation du tiers monde, s'il est traité à plusieurs reprises. Plus généralement, des critiques ont été faites à Paul Bairoch à propos de son appareillage statistique et son analyse économique. Elles viennent surtout des économistes-historiens anglo-saxons qui reprochent à ses données d'être fournies sans explication, avec une simple note "calculs de l'auteur" (ex. p. 99, t. 1), ou qui relèvent l'abus d'estimations approximatives accolées des termes "certainement", "peut-être", "probable", "probablement", "vraisemblable" (ex. p. 297, t. 1 : "et peut-être, mais ceci est peu probable, de 2 kg..." ; t. 2, p. 515 : "Dès le IXe siècle, et plus certainement dès le Xe siècle, les Arabes accostèrent à Madagascar"). La fixation de probabilités arbitraires à tel ou tel événement (ex. p. 267, t. 1) ressortit à la même démarche. Ces approches paraissent insuffisantes pour satisfaire les critères de rigueur scientifique des cliométriciens. Les techniques mathématiques modernes employées en statistique ne sont pas utilisées dans ses ouvrages. L'histoire économique de Bairoch reste essentiellement littéraire, elle emploie peu l'analyse économique et pas du tout ses méthodes quantitatives.
Le style également, toujours correct, est assez neutre, souvent plat, parfois lourd[3] et non exempt d'expressions naïves[4]. Bairoch se distingue plus par le détail et la précision des connaissances, la clarté dans l'exposé, l'ampleur et le souffle de la vision, que par une écriture brillante ou élégante. Le travail est tellement énorme qu'on peut imaginer la difficulté de relectures successives pour améliorer la forme, d'autant qu'il ne semble pas que l'auteur ait eu recours directement au traitement de texte, mais à une écriture manuelle suivie d'une frappe, ce qui ralentit considérablement la procédure de correction.
Tome 1 : des origines à la révolution industrielle du XVIIIe siècle (662 p.)
Bairoch nous offre d'abord un panorama passionnant des quelque dix mille ans qui vont de la révolution néolithique à la révolution industrielle (prologue du tome 1). C'est une synthèse magistrale et l'occasion de revoir ou d'apprendre quelques dates ou faits : la fin réelle de l'Empire romain avec l'invasion des Lombards (568) au lieu de la date habituelle de 476 ; l'utilisation en allemand de l'expression "migration de peuples" à la place des "grandes invasions" des Français et des Italiens ; la première université à Bologne en 988 ; les premiers canaux (1180) et hauts fourneaux (1340) en Belgique ; la première fabrique de papier d'Occident dans l'Hérault (1189) ; l'apparition du rouet au XIIIe siècle à la place du fuseau et de la quenouille de nos contes de fées ; les premières cheminées et l'apparition de la brouette au XIIIe siècle ; le rôle peu glorieux lors des croisades d'un des personnages mythiques de l'Occident, Richard Cœur de Lion ; l'origine du nom Istanbul (du grec eis tên polis, "dans la ville") ; l'interdiction (non respectée) par l'Église en 1189 de l'arbalète, arme trop meurtrière ; le rôle essentiel et mal connu en France de la guerre de Trente ans dans l'histoire de l'Europe et le recul de l'Allemagne pendant deux siècles et demi, etc.
On trouve dans cette partie une définition restrictive de la croissance économique (p. 11, reprise p. 237, t. 2). La distinction de Reynolds (1985) entre croissance extensive et intensive n'est pas reprise par Bairoch. La première est la hausse de la production et de la population au même rythme. Il s'agit d'une authentique croissance, selon Reynolds, "car une espèce qui augmente son nombre est une espèce qui réussit". Elle a été en gros le lot de l'humanité de la révolution néolithique au XVIIIe siècle. La seconde est la hausse du produit par habitant, c'est elle seulement qui est utilisée ici. Pourtant la distinction a l'avantage de faire apparaître des turning points, lorsqu'une société passe de l'une à l'autre, ce qui a lieu en Occident au XVIIIe et qui entraîne toutes les mutations structurelles caractéristiques des sociétés en cours d'industrialisation.
Anne-Marie Piuz, dans un excellent chapitre sur les économies traditionnelles, distingue (p. 136) les sociétés préindustrielles, qui se limitent aux trois siècles ayant précédé l'industrialisation anglaise du XVIIIe, et les économies anciennes qui "remontent à la nuit des temps". Ce découpage est contestable car les sociétés de l'Antiquité et du Moyen-Âge peuvent par définition aussi être qualifiées de préindustrielles et le terme économies anciennes évoque plutôt la seule Antiquité, comme on dit les Anciens pour désigner les auteurs grecs ou romains. Quantité d'informations utiles et de réponses précises à de multiples questions sont apportées par ce texte, notamment la situation démographique, l'agriculture, l'industrie, les échanges et les évolutions de ces sociétés.
La suite du tome 1, de la page 215 à la fin, soit les deux tiers du volume, est consacrée à la révolution industrielle des XVIIIe et XIXe siècles (ch. II à VIII). Bairoch considère comme nombre d'auteurs que la révolution néolithique et la révolution industrielle ont été "les deux ruptures fondamentales de l'histoire de l'humanité", et aussi que la dernière "a été encore plus importante quant à ses conséquences" (p. 215). C'est là s'aventurer un peu car les conséquences de la révolution néolithique peuvent être examinées aujourd'hui avec un recul de quelque dix mille ans, alors que la révolution industrielle n'a que deux siècles et que ses effets ne sont pas encore tous visibles, puisqu'elle est toujours en cours dans le monde. Il faut admettre que nous sommes trop proches du phénomène pour pouvoir le comparer au premier, et laisser aux historiens du futur le soin de décider de l'importance relative de l'une et de l'autre.
L'auteur présente sa vision de la révolution industrielle en examinant toutes les questions que se posent les historiens depuis deux siècles. De multiples détails éclairent et illustrent son analyse. Spécialiste de la révolution agricole anglaise, il nous rappelle ainsi l'invention du semoir en 1701 par Jethro Tull, première machine agricole, qui permet d'augmenter la production en ne gaspillant pas les semences. Le rôle des raves dans les cultures nouvelles est également expliqué : Lord Townshend, grand pionnier des méthodes nouvelles, préconisait la culture du navet en alternance avec les céréales, mais le navet (turnip) n'était qu'une de ces raves parmi lesquelles on trouvait aussi les blettes, le rutabaga, le chou-rave, les betteraves, le céleri et toutes sortes de radis (p. 284 sq.). D'autres points sont éclaircis par l'auteur, par exemple beaucoup d'ouvrages citent le remplacement des bœufs par les chevaux dans les travaux agricoles comme un progrès, sans préciser pourquoi. Bairoch prend la peine d'expliquer que la vitesse d'un cheval étant supérieure de 50% à celle d'un bœuf, c'est toute la productivité du travail qui augmente avec cette substitution (pour plus de détails, voir p. 287).
Il développe aussi une idée originale concernant les différences entre les révolutions agricoles en Hollande et en Angleterre (p. 279). Dans le premier pays, elle a lieu plus tôt, au XVIIe siècle, mais elle ne débouche pas sur une industrialisation. En Angleterre, au contraire, la révolution agricole des années 1730 est en grande partie à l'origine de la révolution industrielle. La différence, selon Bairoch, est que si les rendements (production par unité de surface) sont élevés en Hollande, la productivité (production par homme) y est plus faible qu'elle ne le sera en Angleterre — du fait de la faible disponibilité de terres et la forte densité du pays —, et donc l'agriculture ne libère pas assez de main d'œuvre pour l'industrie, contrairement au cas britannique.
Sur les technologies de la révolution industrielle, le livre apporte des éclairages intéressants qui manquent à la plupart des ouvrages, même des grands classiques. Par exemple, on nous explique que la mécanisation des textiles est liée à la résistance des fils (p. 311). Le fil de coton est plus solide que celui de laine ou de lin, ce qui permet de comprendre pourquoi les machines à filer ont été introduites d'abord pour cette fibre. De même, le fil de soie "presqu'aussi résistant à la traction que l'acier" a fait l'objet d'une mécanisation dès le XIe siècle en Chine ! On relève un lapsus p. 314 à propos de la navette volante, qui a "accru sensiblement la vitesse de la filature" (il faudrait lire, bien sûr, la vitesse du tissage)[5].
Notre auteur prend la défense de Rostow et de son take-off (page 338) avec qui il se sent sans aucun doute des affinités. Il écrit ainsi : "Bien que critiquée (comme le sont en général les travaux originaux) la thèse de Rostow...". La remarque vaut certainement pour ses propres travaux, car Bairoch a été le premier historien, critiqué mais toujours cité, à faire de la révolution agricole le préalable de la révolution industrielle britannique.
Tome II : les pays développés au XIXe siècle, les pays périphériques du XVIe au XIXe siècle (1015 p.)
La première partie de ce deuxième volume étudie les pays aujourd'hui développés lors de leur phase d'industrialisation, au XIXe siècle. L'auteur commence par un chapitre général (ch. IX) sur les conditions de l'industrialisation à cette période (les transports, le commerce, l'industrie, l'éducation, etc.) et aborde l'évolution technique dans un chapitre X (p. 72 à 153). Ce dernier est remarquable pour sa clarté, sa précision, son caractère complet, à jour et synthétique. Il rappelle avec une grande sûreté nombre d'inventions méconnues comme le ciment de Portland, le premier générateur électrique de Hippolyte Pixii en 1832, le réfrigérateur de Ferdinand Carré en 1859, et bien d'autres comme le procédé Washoe pour extraire l'argent. Suit un chapitre classique sur l'évolution démographique, les flux migratoires[6], le partage de la population active entre les secteurs, enfin l'urbanisation. L'analyse de la productivité des secteurs, de la croissance, de l'organisation et la concentration des entreprises fait l'objet du chapitre XII. À propos du five dollars day payé par Ford en 1914, l'auteur signale que le salaire minimum fixé par le gouvernement en 1938 dans le cadre du New Deal, lui était vingt fois inférieur (25 cents) !
Le chapitre sur les relations économiques internationales au XIXe siècle bénéficie de la sûreté d'analyse de celui qui était sans nul doute le meilleur connaisseur de la question. Les passages sur l'histoire du libre-échange et du protectionnisme, et notamment sur les Corn Laws, sont remarquables et trouvent le moyen d'apporter un éclairage original sur le sujet le plus rebattu de l'histoire économique ("It was the rain that rained away the Corn Laws", p. 284). La description des investissements internationaux est particulièrement claire sur un thème complexe et souvent présenté de façon embrouillée dans les manuels comparables.
Le chapitre XIV porte sur les questions financières (monnaie, banque, bourse, assurance), et il donne l'occasion de remonter loin dans le passé pour faire des rappels historiques tout à fait utiles. Le rôle méconnu de Daniel Defoe, qui le premier a l'idée des Caisses d'épargne, celui du banquier suédois Palmstruch (Palmstruck ?), toujours cité trop rapidement dans les cours sur la monnaie comme l'inventeur des billets de banque en 1661, celui de Benjamin Franklin qui fonde la première assurance en Amérique en 1752, tout cela fait ici l'objet de détails stimulants et peu fréquents. Le passage sur la banque juive et protestante est extrêmement intéressant (p. 358). La naissance de l'étalon-or, et notamment l'importance d'Isaac Newton, directeur pendant 28 ans de l'Hôtel des Monnaies, est aussi analysée avec précision et clarté.
Les deux derniers chapitres de cette partie traitent d'une part des cycles et des crises, et d'autre part de l'évolution sociale au XIXe siècle. Le chapitre XV présente de façon factuelle les différents types de cycles, de Juglar à Kuznets, en passant par Kondratief et Schumpeter, et fait l'historique des crises, de 1825 à 1913. Enfin 80 pages détaillent dans les principaux pays la montée du mouvement ouvrier, les lois sociales, la pensée socialiste. Des informations introuvables ailleurs sous forme synthétique, comme par exemple les tableaux des pages 472-473, 491, 499, 501, constituent une source précieuse qui ne manquera pas d'être exploitée par tous ceux qui s'intéressent à l'histoire sociale.
La deuxième partie du tome 2 est plus ambitieuse encore, puisqu'elle s'attaque au vaste monde et cela sur plusieurs siècles (entre 1492 et 1913). On passe ainsi rapidement de l'Égypte à la Chine, du Maroc à l'Inde, de l'Afrique au Siam, de l'Amérique à la Corée, du Viêt-Nam, au Cambodge, au Laos, à l'Indonésie, etc., dans un va-et-vient qui donne un peu le tournis... La colonisation européenne du monde est analysée dans ses phases, ses moyens et ses modalités. Là aussi des tableaux synthétiques fournissent une information utile (ch. XVII et XVIII). Le chapitre suivant sur les causes du retard du reste du monde par rapport à l'Europe est très intéressant. Les difficultés du climat tropical expliquent en grande partie selon notre auteur l'absence de révolution agricole dans les pays du sud. Rappelons cependant que la théorie des avantages comparatifs n'a pas été élaborée par Adam Smith comme le dit l'auteur page 669, mais naturellement par Ricardo[7], quarante ans après.
En ce qui concerne l'industrie, il reprend la thèse plus contestable que l'Europe, par la concurrence de ses produits manufacturés bon marché, aurait provoqué une "désindustrialisation" des pays du Sud, et naturellement l'exemple des textiles indiens figure ici au premier rang (cas développé dans le chapitre XXII, p. 847 à 865). Bairoch parle ainsi plus loin de "l'ampleur de la désindustrialisation subie par le tiers monde au XIXe siècle" (t. 3 : p. 106, et aussi p. 189, 858, 1036), alors qu'aucun pays dans le "tiers monde" n'était encore passé par une révolution industrielle et que certains s'attardaient jusqu'au XIXe dans des modes de vie néolithiques ! On ne peut désindustrialiser des économies rurales préindustrielles, et dans le cas de l'Inde, il a été montré — par des économistes indiens eux-mêmes comme Lal (1983) ou Roy (1996) — que la phase d'industrialisation rapide correspond à la période coloniale de libre-échange, ce que reconnaît d'ailleurs Bairoch puisqu'il décrit la réindustrialisation à partir de 1860.
La présentation de l'Égypte de 1830 comme un pays industrialisé comparable à l'Italie ou la Russie, à la suite de la tentative de modernisation de Muhammad-Ali, est tout à fait excessive (p. 949 à 964). C'est faire peu de cas de l'obstacle des institutions inadaptées et du milieu très en retard au plan technique. Sur les gains de la colonisation pour les pays industriels, l'auteur reprend des thèses plus fondées, celles déjà exprimées dans Mythes et Paradoxes (1993), qui relativisent ces avantages à la baisse. Grand pourfendeur des mythes de l'histoire économique, Bairoch adopte malheureusement le mythe tiers mondiste de la "désindustrialisation" orchestrée par les pays capitalistes et impérialistes.
Une polémique à propos des chiffres fournis par Bairoch sur les niveaux de vie à l'aube de l'ère industrielle s'est développée avec l'autre grand historien-statisticien des années 1980 et 1990, Angus Maddison. Le premier soutenait que les pays du tiers monde actuel avaient en 1800 un niveau de vie comparable à celui des pays européens (Bairoch, 1979), tandis que le second affirmait qu'ils étaient déjà bien inférieurs (Maddison, 1983). Ce débat est repris page 109 et suivantes du présent ouvrage (tome 1). Les chiffres fournis également dans le tome 3 sur l'industrialisation du "tiers monde à économie de marché" en 1750 apparaissent bien fantaisistes (p. 860). Quand on sait le manque de fiabilité des statistiques en 1950, comme d'ailleurs maintenant, dans les pays les plus pauvres, des chiffres concernant 1750 (!) semblent peu crédibles. L'affirmation que la production industrielle par habitant était dans ces pays de 7% (1750), de 4% (1860) et 2% (1900) du niveau du Royaume Uni en 1900 est pour le moins sujette à caution. Cela fournit en tout cas une base extrêmement fragile pour parler de désindustrialisation dans les pays du "tiers monde" au XIXe siècle. Il est difficile de soutenir, comme le fait l'auteur, que "pour l'ensemble du tiers monde, le niveau d'industrialisation par habitant se situait vers 1900 à moins du tiers du niveau de 1750" (p. 858, t. 3). Vouloir chiffrer "le niveau d'industrialisation" en 1750, surtout hors d'Europe, semble tout à fait incongru. Ce sont des témoignages, des récits, des faits historiques qui seuls permettent d'avoir une idée des conditions de vie et de production avant l'ère industrielle. Tout ce qu'on sait là-dessus va à l'encontre d'une affirmation aussi péremptoire...
La partie finale du tome 2 étudie — de façon monographique, aire culturelle après aire culturelle (Amérique latine, Afrique, Asie, Moyen-Orient), et à l'intérieur, pays après pays — l'évolution économique du futur tiers-monde jusqu'au début du XXe siècle. Cette somme de 300 pages aurait pu faire l'objet d'un livre séparé et elle constitue une véritable mine : son utilisation relève non d'une lecture linéaire, mais plutôt d'une consultation de type encyclopédie ou dictionnaire, lorsqu'on cherche, par exemple, des informations sur l'histoire économique du Paraguay, de São Tomé et Principe, de la Libye, du Libéria, de Ceylan, de Madagascar ou des Philippines. Mais les grands pays comme l'Égypte, le Brésil, la Chine, la Perse ou l'Inde ne sont bien sûr pas oubliés et y font l'objet d'études plus complètes.
Tome 3 : Le XXe siècle (1111 p.)
Le dernier volume contient la quatrième partie de l'œuvre (les pays développés au XXe siècle) et la cinquième (le tiers monde). Pour le premier groupe, "les nantis", l'auteur fait tout d'abord une présentation chronologique avec la Première Guerre mondiale et l'entre-deux-guerres (chap. XXIV), puis la Seconde Guerre mondiale[8] et l'après-guerre jusqu'aux années 1990 (ch. XXV). Il étudie ensuite la marche vers l'intégration économique en Europe et dans le monde depuis le cas du Zollverein jusqu'au traité de Maastricht (ch. XXVI), avant de se tourner vers les pays d'Europe de l'Est, de 1917 à la chute du mur (ch. XXVII). L'évolution démographique, les mutations structurelles et la mondialisation sont analysées dans le chapitre XXVIII, tandis que le suivant étudie les évolutions sociales de Bismarck à Thatcher, des Poor Laws au RMI. Le chapitre XXX clôt cette présentation avec l'évolution des techniques, du Zeppelin au TGV, du phonographe à Internet.
La dernière partie s'attache aux pays démunis : le premier chapitre (XXXIème du livre) fait un tour d'horizon de l'histoire du tiers monde au XXe siècle, notamment de la colonisation et des indépendances[9], mais aussi de l'évolution économique (effets des guerres, de la crise de 29, de la croissance, des chocs pétroliers...). L'évolution démographique, les problème agricoles, l'industrialisation, le commerce extérieur, l'endettement externe, l'aide et la croissance font l'objet des derniers chapitres (XXXII à XXXVI). Il s'agit d'une sorte de manuel d'économie du développement contemporaine, à l'intérieur du manuel d'histoire économique. Les deux disciplines liées, et chères à l'auteur, se rejoignent dans cette partie finale.
À propos des pays développés, il développe une idée intéressante sur la différence entre l'industrialisation du XIXe et la naissance de la société de consommation dans les années vingt. Dans le premier cas, les biens manufacturés voient leur prix baisser et leur consommation s'élargir, mais ce sont des biens qui existaient déjà avant la révolution industrielle, comme par exemple les textiles ou les ustensiles en fer et en fonte. Les seuls biens nouveaux sont les machines, mais ce sont des biens de production réservés aux firmes (machines à vapeur, métiers automatiques, etc.). Après 1920, les machines deviennent aussi des biens de consommation destinés aux ménages. Toute une gamme de biens nouveaux apparaissent comme les voitures, les radios et tous les biens électro-ménagers, des appareils, des biens de consommation durable qui sont l'essence même de cette société de consommation.
Cependant, plusieurs points sont plus contestables, par exemple l'affirmation que les années vingt aient vu naître, "pour la première fois dans l'histoire" (p. 41, 46 sq.), le chômage structurel. Elle fait peu de cas du chômage endémique au XIXe siècle, chômage observé par les économistes du début du siècle et par Marx, et pour cela qualifié de "classique", lié à l'insuffisance des équipements et des infrastructures, comme dans les pays pauvres aujourd'hui.
La partie sur "la désindustrialisation de l'Occident" (p. 189 à 200) est également discutable, même si les faits présentés sont incontestables, car elle introduit l'idée d'une évolution défavorable — les termes de "recul", de "déclin" sont employés —, alors qu'il s'agit en fait d'un processus de tertiarisation caractéristique de la modernité, un progrès des sociétés occidentales plus qu'un recul. La montée du tertiaire n'est abordée rapidement qu'à la page 386. En outre, cette "désindustrialisation" correspond à une redistribution des cartes à l'échelle mondiale qui permet le développement économique des pays du tiers monde, quant à eux en pleine phase d'industrialisation "classique".
L'auteur semble un peu indulgent à propos du bilan du stalinisme (p. 288 sq.) qu'il juge préférable à celui du nazisme, même s'il a causé plus de victimes innocentes pendant une plus longue période. Il est vrai que seuls les nazis ont massacré des enfants sur une grande échelle, qu'ils étaient animés par le pur esprit du mal (esprit dont l'uniforme noir des SS reste le symbole terrifiant), alors que les communistes russes n'ont jamais entrepris de massacres racistes, qu'ils avaient en tête un progrès de l'humanité, qu'ils n'ont pas provoqué la guerre mais qu'ils l'ont subie ; et qu'enfin le stalinisme s'apparente plus à une déviation ubuesque et sanglante d'une idéologie au départ généreuse, qu'à une entreprise de destruction recherchée, inévitable et inscrite dans les événements de 1917. Mais on devrait juger un régime sur ces résultats, et à cette aune le stalinisme n'est pas meilleur que le nazisme.
Les acquis sociaux du régime soviétique, évalués par Bairoch par rapport aux pays occidentaux, en matière par exemple de réduction des inégalités sociales ou de progrès médicaux, prêtent au doute. Comment en effet un pays où l'espérance de vie a baissé, où la mortalité infantile a augmenté (p. 300), où l'alcoolisme sévit partout, où les dignitaires qui en avaient les moyens allaient se faire soigner en Occident, peut-il être loué pour ses progrès médicaux ? Comment un régime qui a rétabli une classe de privilégiés (la nomenklatura, les apparatchiks, etc.) — les seuls par exemple à avoir accès à des magasins approvisionnés où l'on payait en dollars (alors que le peuple devait se contenter de rayonnages vides), magasins réservés à une élite, dont l'idée même serait inimaginable en Occident et qui provoqueraient immédiatement des émeutes si l'on s'avisait d'en créer —, comment un tel régime peut-il être crédité d'une réduction des inégalités ? Il s'agissait en fait de l'instauration d'une société de type féodal, comparable à celle des tsars, et acceptable seulement par un peuple qui depuis son origine n'était jamais sorti de l'oppression.
Dans les pays occidentaux, l'auteur décrit ce qu'il appelle "le démantèlement de l'État-providence" à partir des années soixante-dix. Il est évidemment question des expériences Reagan et Thatcher, mais l'expression semble excessive pour désigner l'évolution à long terme des pays développés, si on pense à l'introduction ou au renforcement des salaires minimums, du RMG ou du RMI dans nombre d'entre eux, décrits page 541 et suivantes.
À propos du tiers monde, dans la deuxième partie, l'histoire de l'industrialisation par substitution d'importations est trop peu développée, alors qu'il s'agit là d'un thème essentiel pour la problématique même de l'auteur. Le lien entre la crise de 1929 et le démarrage de l'industrialisation en Amérique latine occupe une place trop limitée (p. 688 et aussi p. 861 sq.) pour une rupture aussi fondamentale dans l'histoire économique du tiers monde, comme l'illustre l'énorme bibliographie, en Amérique latine et aux États-Unis, totalement absente ici (voir Hirschman, 1967, et pour un survey récent Bruton, 1998).
Dans le domaine agricole, l'auteur a une position très contestable sur la révolution verte (p. 829-836) qu'il qualifie d'échec ou de semi-échec, même s'il admet paradoxalement ensuite que "sans ces nouvelles variétés de blé et de riz la situation serait devenue catastrophique", pour nuancer encore en terminant sur les risques de la dépendance "envers un nombre restreint de variétés de céréales" (p. 836). Il y a là un refus de trancher qu'on retrouve souvent dans l'ouvrage, le fait de ménager la chèvre et le chou, de donner le pour et le contre sans se décider dans un sens ou dans l'autre... Il faut affirmer cependant haut et fort que la révolution verte a permis à des centaines de millions de gens en Asie d'échapper à la faim. L'historien devrait ici insister sur le fait que les famines étaient récurrentes en Inde et en Chine jusqu'aux années 1950 et que, grâce à la révolution verte, on en entend plus parler depuis. Si on n'appelle pas cela un succès... Par ailleurs, la persistance des disettes en Afrique s'explique justement par le fait que la révolution verte n'y a pas été étendue. Le débat a fait rage pendant les années soixante-dix et quatre-vingt entre tiers-mondistes qui insistaient sur les effets néfastes de la révolution verte, et libéraux qui la défendaient, et puis les faits ont finalement tranché, comme notamment les travaux de Yujiro Hayami (1981, 1985) et Vernon Ruttan (1977, 1985), non cités ici, l'ont bien établi.
Les définitions sur les termes de l'échange sont trop imprécises (p. 941). Il est inexact de dire par exemple qu'"une amélioration des termes des échanges... conduit à une augmentation des recettes". Puisque l'auteur précise qu'il utilise la notion de termes nets de l'échange, l'effet sur les recettes dépend de la variation des quantités et on ne peut donc conclure systématiquement à une augmentation des recettes d'exportation. Ensuite, la proclamation par l'auteur que la dégradation séculaire des termes de l'échange des produits primaires est un mythe (p. 942), une thèse "quasi unanimement rejetée par les spécialistes du commerce international" (p. 944) est tout à fait hâtive. Des études nombreuses, récentes et concordantes de "spécialistes du commerce international" (cf. Spraos, 1980 ; Sapsford, 1988) ont bien montré que les prix des produits primaires, sur un siècle, avaient évolué de façon moins favorable que ceux des produits manufacturés, ce qui est d'ailleurs expliqué par des arguments théoriques convaincants, et confirmé par l'évolution désastreuse des deux dernières décennies. "Les raisons de l'acceptation du mythe" données par l'auteur page 944, à savoir l'évolution des cours du sucre de canne en Amérique latine, par rapport au sucre de betterave européen, sont tout à fait fantaisistes. Raúl Prebisch, ainsi que les autres "bons spécialistes" latino-américains dont parle l'auteur, se retournerait dans sa tombe face à une telle explication. De même, l'affirmation par Bairoch que l'Amérique latine constitue "une faible partie du tiers monde" (ibid.) laisse pour le moins rêveur.
À propos de Victoires et déboires, Patrick Eveno dans Le Monde (9 mai 1997) indique que le thème central est de comprendre "pourquoi la révolution industrielle ne s'est pas étendue au reste du monde, qui est resté confiné dans le sous-développement". En fait la question est mal posée et la position trop impatiente. La révolution industrielle, démarrée effectivement en Angleterre au XVIIIe siècle, s'étend progressivement depuis lors au reste du monde, et continue à le faire maintenant. Le processus est toujours en cours, le tiers monde est en voie d'industrialisation, certains de ses membres ayant déjà rejoint les niveaux de vie des pays développés. L'histoire ne s'arrête pas au moment où on écrit, un processus de diffusion comme celui-là ne peut se faire rapidement, il prend des siècles et on ne peut juger de sa réussite en s'arrêtant à une année quelconque. Plus rapide dans les pays où les caractéristiques institutionnelles sont favorables, il sera freiné ou même bloqué dans ceux où les institutions s'opposent au développement économique. Les exemples de l'Afrique coutumière ou de la Russie socialiste et post-socialiste sont là pour nous le rappeler. Mais l'essentiel est de comprendre que les hommes ne sont pas stupides et s'ils voient qu'un système marche mieux qu'un autre, ils finissent tôt ou tard par l'adopter. On ne pourrait expliquer sans cela la diffusion à travers le monde des techniques industrielles ou la généralisation de l'économie de marché. Là aussi des exemples, comme celui de la chute du mur et avec lui du communisme centralisé, en fournissent une preuve éclatante. Comme le disait le grand économiste antillais du développement, Arthur Lewis : "Ma mère m'avait enseigné une leçon, c'est que si les autres étaient capables de faire quelque chose, nous aussi pouvions le réaliser. Ce n'était pas une proposition scientifique, mais elle s'est révélée vraie."
Ainsi la position de Bairoch selon laquelle la révolution industrielle serait à l'origine du tiers monde n'est pas tenable : "Révolution industrielle, mère du monde actuel, de l'opulence et, également, de la misère actuelles ; car l'angoissant problème du Tiers-Monde est aussi, en grande partie, une résultante de la révolution industrielle" (p. 87, t. 1). C'est plutôt le contraire qui est vrai : la révolution industrielle est la solution à la misère et non sa cause, comme elle l'a été pour les pays occidentaux ou le Japon au XIXe siècle, comme elle l'est progressivement dans le tiers monde au XXe. Le fait que les écarts de niveaux de vie entre pays riches et pauvres se soient accrus depuis deux siècles n'a rien à voir avec cette évolution. Tous les pays du monde étaient misérables avant le XIXe siècle et le développement rapide de certains a ensuite entraîné un accroissement inévitable de ces écarts de richesse, mais il n'a pas créé le sous-développement. La résorption du fossé Nord/Sud ne pourra venir que d'une extension progressive de l'industrialisation. Cette situation peut être comparée aux différentes régions à l'intérieur d'un pays en cours de développement. Par exemple les différences régionales de l'Angleterre du début du XVIIIe étaient plus faibles qu'à la fin du même siècle : le Lancashire (Manchester) s'est industrialisé et enrichi rapidement, alors que le Kent (Douvres) est resté pauvre et rural. Ce n'est pas l'enrichissement du premier qui a provoqué la pauvreté du second, pas plus que l'industrialisation de l'Europe occidentale n'a entraîné la misère de l'Asie ou de l'Afrique, qui existaient déjà. Le processus de croissance est au départ inévitablement polarisé et accentue les différences, des pics de développement apparaissent qui les font apparaître plus crûment. Le tiers monde est soudain mis en lumière au XXe siècle parce que la société de consommation au nord, née de la révolution industrielle, contraste violemment avec une misère rurale immémoriale au sud, mais il n'a pas été créé par elle.
Une des expressions favorites de Bairoch est la suivante : "Sans prétendre être exhaustif, etc.", elle revient dans les trois volumes comme une sorte de leitmotiv. Cette volonté semble assez paradoxale, même si elle rend hommage à la modestie de l'auteur, car son travail tend justement vers ce but, l'exhaustivité. Où trouver ailleurs qu'ici des informations historiques aussi complètes, dans l'ordre économique ou social ? La réponse est simple : nulle part ! C'est pourquoi cet ouvrage est irremplaçable. Supposons par exemple qu'on ait besoin de savoir quand le droit de grève a été introduit au Portugal, ou bien l'année où l'assurance maladie a été adoptée au Danemark, ou encore la date d'abandon de l'étalon-or par l'Afrique du Sud... Avant la publication de cette bible, aucun manuel, aucun dictionnaire, aucune encyclopédie n'aurait pu fournir la réponse. Le malheureux chercheur aurait dû errer des jours et des jours dans les sous-sols ou les couloirs des bibliothèques, seulement pour vérifier un fait, une année, un contexte, afin de trouver tel ouvrage danois, portugais ou afrikaner qui lui aurait, avec un peu de chance, fourni la réponse convoitée. Grâce à ce livre, et au travail méticuleux d'une vie de compilation et de recherche, celle-ci devient pratiquement immédiate. Bairoch, peu de temps avant sa mort, nous a laissé un présent inestimable sous la forme de cet outil de travail unique.
Sa démarche est essentiellement factuelle. Un dernier exemple, parmi des centaines, est celui où il nous présente un bref historique du brevet d'invention (p. 375, t. 1) avec des faits et des dates difficiles à trouver ailleurs. Même Douglass North, qui analyse dans ses ouvrages le rôle du brevet (cf. North, 1981), ne nous fournit pas des éléments aussi précis. Très stimulants sur le plan théorique, ses travaux restent pauvres sur le plan des informations apportées. La force essentielle de Bairoch est cette avalanche de faits détaillés dont la présentation résulte d'une organisation minutieuse et d'une longue accumulation. On peut se gausser des faits et soutenir que la théorie est plus importante, ils sont néanmoins indispensables, ils constituent le socle, la base sur quoi les théories peuvent se développer. L'histoire économique est avant tout constituée de faits réels — hard facts comme disent les Anglo-Saxons —, car après tout que restera-t-il de notre passé si nous n'en connaissons pas les faits ? Elle est formée aussi et surtout de faits bien expliqués, explicités, éclaircis par une compréhension qui ne peut s'acquérir rapidement, mais qui est obtenue par de longues lectures et une lente réflexion. On peut appeler ici la littérature à la rescousse en la personne de Dickens et sa célèbre formule, que Paul Bairoch aurait pu faire sienne : "Ce que je veux, ce sont des faits... Seuls les faits sont nécessaires dans la vie... Tenez-vous en aux faits, monsieur !"
RÉFÉRENCES
Appleby A.B., 1980, "The Disappearance of Plague: a Continuing Puzzle", Economic History Review, Mai, 33(2), p. 161-173
Bairoch P., 1971, Le tiers monde dans l'impasse, Paris : Gallimard, , 3ème éd. 1992
Bairoch P., 1979, "Écarts internationaux des niveaux de vie avant la révolution industrielle", Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, Janvier-Février, 34(1), p. 145-171
Bairoch P., 1993, Economics and World History, Myths and Paradoxes, New York: Harvester Wheatsheaf ; Mythes et paradoxes de l'histoire économique, Paris : La Découverte poche, 1999
Bruton H., 1998, "A Reconsideration of Import Substitution", Journal of Economic Literature, vol. XXXVI, Juin, p. 903-936
Hayami Y., 1981, "Induced Innovation, Green Revolution and Income Distribution: Comment", Economic Development and Cultural Change, n° 30, p. 169-176
Hayami Y. and V.W. Ruttan, 1985, Agricultural Development: An International Perspective, Baltimore: Johns Hopkins University Press, 1ère éd. 1971.
Hirschman A.O., 1967, "The Political Economy of Import-Substituting Industrialization in Latin America", The Quarterly Journal of Economics, n° 82(1), Février, p. 1-32
Lal D., 1983, The Poverty of 'Development Economics', London: The Institute of Economic Affairs, Hobart Paperback 16
Maddison A., 1983, "A Comparison of Levels of GDP per capita in Developed and Developing Countries, 1700-1980", Journal of Economic History, XLIII(1), Mars, p. 27-41
North D., 1981, Structure and Change in Economic History, New York: W.W. Norton
Reynolds L.G., 1985, Economic Growth in the Third World, 1850-1980, New Haven: Yale University Press
Roy T. (éd.), 1996, Cloth and commerce: textiles in colonial India, New Delhi: Thousand Oaks, Altamira Press Books, Londres : Sage Publications
Ruttan V.W., 1977, "The Green Revolution: Seven Generalizations", International Development Review, n° 19, p. 16-23 ; voir aussi Hayami & Ruttan, 1971
Sapsford D., 1988, "The Debate Over Trends in the Terms of Trade", in : David Greenaway (éd.), Economic Development and International Trade, London: Macmillan, p. 117-131
Spraos J., 1980, "The Statistical Debate on the Net Barter Terms of Trade Beween Primary Commodities and Manufactures", Economic Journal, n° 90, p. 107-128
Patrick VERLEY
— la Révolution industrielle, Folio/Histoire, Paris : Gallimard, 543 p., 1997a
— La première révolution industrielle (1750-1880), collection Synthèse, Paris : Armand Colin, 96 p., 1999a
— l'Échelle du monde, Essai sur l'industrialisation de l'Occident, nrf essais, Paris : Gallimard, 713 p., 1997b
L'édition 1997 de la Révolution industrielle de Patrick Verley reprend deux de ses précédents ouvrages. Le premier, au titre identique, paru en 1985 aux éditions MA[10], se présentait sous forme d'un lexique thématique ; il constitue aujourd'hui l'essentiel du nouveau livre (IIème partie, p. 123 à 500). Le second, publié en 1992, faisait l'historique des analyses de la révolution industrielle ; il en occupe maintenant la première partie (p. 11 à 121). La version synthétique recensée ici est une heureuse initiative, car les deux premiers livres étaient épuisés ou peu diffusés, malgré leur intérêt considérable. Elle bénéficie en outre du prestige et de la large audience de l'édition de poche Folio/Histoire chez Gallimard.
Dans la première partie, l'auteur nous présente d'abord les diverses interprétations de la révolution industrielle en Angleterre et sur le continent, entre 1860 et 1870, comme par exemple celle de David Landes qui insiste sur son aspect de rupture technologique : "une rupture avec le passé beaucoup plus radicale que celle de toute autre depuis l'invention de la roue". Les débats sur les rôles respectifs de l'offre et de la demande, ainsi que sur les voies et les formes de l'industrialisation sont présentés et ces distinctions font l'objet du plan adopté. le chapitre I traite de l'Expansion des marchés qui caractérise l'Europe au XVIIIe siècle : marchés intérieurs avec l'apparition d'une classe moyenne voulant élargir sa consommation, notamment de cotonnades, et marchés extérieurs avec le boom des échanges internationaux. Le commerce atlantique — entre la Grande-Bretagne et les 13 colonies, devenues les États-Unis en 1783 — représente un facteur essentiel de l'industrialisation, à la fois par les débouchés pour la production manufacturée et par les importations de coton. Le deuxième chapitre aborde les questions plus techniques de l'offre. L'auteur distingue l'invention de l'innovation, cette dernière étant caractérisée par l'application d'une invention "à une échelle suffisamment large pour exercer une influence sur la productivité, la production, le marché, l'organisation du travail d'un secteur industriel important". Cette distinction est utile car les deux concepts sont souvent employés indifféremment dans la littérature, ou définis de façon peu claire. Les grandes innovations — dont les noms (fonte au coke, navette volante, waterframe, mule jenny, etc.) font partie de notre mémoire collective — sont présentées, jusqu'au moment où le progrès technique est institutionnalisé. L'auteur rappelle aussi les débats sur le processus et l'importance de la formation de capital au moment du décollage. La mutation du système de production des biens manufacturés est analysée dans le chapitre III : on y voit comment le système domestique des industries rurales, disséminées dans les campagnes, ou putting-out system, évolue en protoindustrialisation au XVIIIe siècle, puis en "système usinier" (factory system) au XIXe, sous l'effet des innovations techniques et de la mécanisation. Le dernier chapitre présente les voies nationales de l'industrialisation à partir du cas anglais. Les canaux du transfert technologique depuis la Grande-Bretagne vers le continent et les États-Unis, puis de France et de Belgique vers d'autres pays, sont étudiés avec une foule d'exemple vivants et précis. Verley a publié précédemment un ouvrage (1994) sur les entrepreneurs de la période et connaît à fond la question. La thèse de Gerschenkron sur les latecomers et les révisions qui lui ont été faites permettent d'expliquer la diversité nationale et régionale du processus ainsi que son unité. L'auteur conclut sur l'idée que la révolution industrielle — dont on peut contester l'appellation puisqu'elle fut d'une part progressive et non brutale, et d'autre part élargie à bien d'autres aspects que l'industrie — est un processus qu'on ne peut seulement appréhender de manière quantitative, mais qu'il faut étudier les mutations qualitatives et notamment sociales. En ce qui concerne ses causes, il considère qu'elle a été avant tout tirée par l'expansion de la demande des biens de consommation (voir ci-dessous).
La seconde partie du livre étudie par ordre alphabétique les principaux thèmes, pays, acteurs et auteurs concernés par la révolution industrielle. On a par exemple des sujets tels que :
— Agriculture et révolution industrielle, Crises et fluctuations, chemins de fer, démographie, économétrie, enclosures, machine à vapeur, sidérurgie, etc.
— Allemagne, Belgique, France et Grande-Bretagne, Pays-Bas, Suisse, Prusse, États-Unis.
— Bauwens, Borsig, Cockerill, Crawshay, Dufaud, Krupp, Martin, Oberkampf, etc.
— Bairoch, Gerschenkron, Marx, Rostow, Wrigley.
Les divers articles sont composés d'une analyse de quelques pages, suivie d'une bibliographie sélective. Cette organisation permet une recherche rapide, concentrée et synthétique, qui complète efficacement la première partie. Des sujets nouveaux apparaissent par rapport à l'édition de 1985 : les paiements internationaux, l'analyse de Wrigley[11], des industriels fameux comme Oberkampf ou moins connus comme Ternaux. La réédition a permis également l'élimination de quelques coquilles du texte de 1985 (p. 25, p. 186 par exemple) et le résultat est un ouvrage extrêmement soigné, écrit dans un style sans défauts. Il est complété par une annexe statistique, un lexique des termes techniques ou étrangers[12], des cartes de l'industrialisation de l'Europe, une chronologie, une note bibliographique et des index très utiles qui doublent la présentation alphabétique.
Il s'agit d'un ouvrage remarquable qui présente toutes les interactions à l'œuvre dans les économies en cours d'industrialisation aux XVIIIe et XIXe siècles, en tenant compte des acquis récents de l'histoire économique, notamment les analyses des cliométriciens de la New Economic History. Les travaux de Crafts dans le domaine quantitatif, ceux de North pour l'analyse institutionnaliste, sont par exemple exploités. Les grands anciens ne sont pas non plus oubliés comme Marx, Gerschenkron, Crouzet ou Landes, ni les analyses de l'histoire quantitative française et l'école des annales. On peut cependant regretter que Paul Mantoux, cité dès la première page, n'ait pas droit à une notice particulière qui soulignerait l'importance de son ouvrage de 1906 sur la révolution industrielle, plus connu à l'étranger qu'en France. Les articles sont autant théoriques que descriptifs, ils mêlent la présentation de modèles mathématiques et de courtes biographies sur les personnages clés de cette époque, entrepreneurs comme Borsig, Bauwens, Dufaud ou Ternaux. On doit être reconnaissant à l'auteur d'avoir tiré ainsi de l'oubli le parcours de ces grands acteurs de la révolution industrielle.
Le livre est très complet et il est difficile de le prendre en défaut[13]. Il constitue un passage obligé pour quiconque s'intéresse à cette grande transformation dont nos sociétés sont issues, écrit par un des meilleurs spécialistes français de la question (voir également Verley, 1999b) et il mériterait d'être une lecture obligatoire pour tous les étudiants en économie, histoire, gestion, administration ou sociologie.
Verley a publié récemment une analyse synthétique de la première révolution industrielle (1999a) dans une nouvelle collection de mémentos chez Armand Colin. La présentation claire et pédagogique est organisée autour de dossiers successifs, de questions pour "faire le point", parfois de citations comme le jugement brutal porté sur les ouvriers par le grand patron James Nasmyth (p. 46). Les cinq premiers dossiers traitent des problématiques, puis le rôle de la demande est abordé du point de vue des marchés intérieurs et extérieurs, et les thèmes suivants étudient l'offre (progrès technique, branches, organisation du travail, travailleurs, financement, entrepreneurs), avant de terminer sur les chemins de fer et les perspectives régionales et nationales. Une annexe statistique, un glossaire, une bibliographie et un index complètent cet ouvrage très dense. Il permet de résumer en moins de cent pages les analyses de l'auteur, beaucoup plus approfondies et moins faciles d'accès dans ses autres livres, et il rendra de grands services aux étudiants de cette période. Cependant on regrettera des affirmations péremptoires comme celle de la page 19 : "Pas de « révolution agricole » au XVIIIe siècle", ce qui est pour le moins discutable, ainsi que l'utilisation de termes non expliqués, comme le "social saving" des chemins de fer (p. 80) ou "la productivité totale des facteurs" (p. 91), ce qui ne peut guère aider le lecteur de base auquel l'ouvrage est destiné. On regrettera aussi que la bibliographie soit si incomplète[14] et que les termes du glossaire, notamment les termes économiques, soient définis de façon par trop approximative[15].
Le troisième ouvrage de Verley recensé ici, l'Échelle du monde, Essai sur l'industrialisation de l'Occident, paru en 1997, est beaucoup plus ambitieux. Il s'agit d'un travail monumental, qui n'en est qu'au premier tome, portant sur le rôle des marchés dans la révolution industrielle. Le second, à paraître, sera consacré aux facteurs de l'offre. Paru dans la collection nrf essais de Gallimard — qui a publié des noms fameux, aussi divers que Berque, Borges, Camus, Cioran, Eliade, Paz, Sartre, Steiner ou Veyne —, ce texte bénéficie d'une qualité de fabrication exceptionnelle (papier, caractères, lisibilité, cartes et graphiques, etc.) qui en fait un superbe objet à manipuler... et à étudier. Les erreurs et les coquilles sont très rares et le style impeccable de l'auteur ajoute à la facilité de la lecture, malgré les quelque sept cents pages[16]. Les citations sont judicieusement choisies, on appréciera par exemple celle, savoureuse, d'un certain Adolphe d'Angeville en 1836 (p. 24) qui conseille de maintenir en France les industries à la campagne, "à côté de la charrue", pour éviter "les grandes agglomérations d'ouvriers... que de détestables flatteurs peuvent égarer si facilement" !
Un index des noms propres et une bibliographie très complète (tous deux de 24 pages) terminent le volume. La seconde consacre trois pages à une sélection d'ouvrages, agrémentée des appréciations de l'auteur, et le restant à une liste, beaucoup plus utile, des travaux cités. Elle est rarement prise en défaut, malgré quelques cas : ainsi, on ne trouve pas la référence de E. Buret (1840) cité p. 629 ; un ouvrage de Bergeron de 1991 est utilisé p. 644, mais il n'apparaît pas en bibliographie ; le livre The Rise of the Western World, a New Economic History, cité page 678, est attribué à Douglass North seul, au lieu de ses deux auteurs, D. North et R.P. Thomas ; Jan De Vries est cité page 284 pour sa "révolution industrieuse" mais la référence de l'article n'apparaît pas, ni là ni en bibliographie. Les articles de Roehl (1976), Crafts (1977), Locke (1981), Cameron et Freedeman (1983), Aldrich (1987), portant sur la révision du rôle de la France dans la révolution industrielle, sont absents, et le débat sur ce point n'est pas non plus présenté dans le volume. Les travaux de McCloskey mériteraient mieux qu'une simple référence dans la bibliographie pour l'ouvrage édité avec Roderick Floud, car cet auteur a souvent abordé (cf. par exemple, McCloskey, 1994) le rôle de la demande dans la révolution industrielle, thème essentiel du volume de Verley.
Le système des notes à la fin du volume n'est pas toujours commode, d'une part parce qu'il faut s'y reporter, et d'autre part parce qu'il introduit souvent une étape supplémentaire, et superflue, entre le texte et la bibliographie. Ainsi un auteur est cité et une note en fin de volume renvoie à l'année et donc permet de le retrouver dans les ouvrages listés, mais la seule référence de la date dans le texte aurait permis un gain de temps (par exemple, p. 125, Hoffmann est utilisé et une note envoie page 638 où on trouve l'année 1931, qui permet de trouver la référence p. 673, le passage page 638 est inutile ; de même p. 184, Szostak pourrait être retrouvé directement page 681 sans passer par la page 640, etc.). Il serait plus judicieux de réserver les notes aux seuls apports ou commentaires.
Le contenu n'est pas moins remarquable que la forme. L'auteur nous prévient dès le départ qu'il ne va pas présenter une explication nouvelle de la révolution industrielle, puisque "l'accumulation des travaux n'est pas parvenue à dégager aujourd'hui un consensus sur ce thème, ni même une direction unique dans laquelle les connaissances pourraient se sédimenter." L'objectif est d'analyser "les origines et les modalités" du processus d'industrialisation en Europe de l'Ouest et aux États-Unis entre 1700 et 1870-80, c'est-à-dire avant la grande dépression du XIXe et la deuxième révolution industrielle qui y met fin.
La première partie, intitulée Perspectives, présente en une centaine de pages les interprétations successives du phénomène, l'historiographie du concept même de révolution industrielle, depuis les classiques qui l'ont vécu jusqu'aux auteurs contemporains, depuis les préoccupations sur le machinisme et ses effets jusqu'à celles qui relient l'étude de l'industrialisation au questions du sous-développement dans le monde d'après-guerre (ch. I à III). Les analyses de Ricardo, Engels, Mill, Toynbee, Mantoux, Usher, Clapham, Ashton, Rostow, Dobb et Sweezy, Gerschenkron, Landes, North et bien d'autres, y sont tour à tour présentées et discutées de façon approfondie. Le dernier chapitre de cette première partie présente un panorama statistique sur la croissance industrielle aux XVIIIe et XIXe siècles, ainsi que la thèse de Wrigley sur une croissance en Angleterre basée sur les produits fossiles (voir également Verley, 1991) et les causes de l'insuccès hollandais dans la révolution industrielle. L'auteur privilégie le rôle de la demande, reprenant ainsi la thèse d'Elizabeth Gilboy dans les années trente, la Gilboy thesis, et conclut que "l'avance britannique repose d'abord sur la disponibilité au XVIIIe siècle d'un marché intérieur dynamique et de débouchés extérieurs essentiels pour certains secteurs".
La seconde partie (p. 113 à 615) — Marchandises, marchés, États — représente l'essentiel de l'ouvrage : elle traite des changements dans les types de consommation aux XVIIIe-XIXe siècles (ch. V), dans les transports et les réseaux (ch. VI), dans la composition sociale (ch. VII) et enfin dans le commerce international (ch. VIII). Pour Verley, à l'encontre des cliométriciens qui en rejettent l'importance, le rôle de la demande, sous ces diverses facettes, a été essentiel pour stimuler la croissance industrielle : "la pression de la demande contribue très vite à faire apparaître de nouvelles techniques, de nouvelles organisations du travail et de nouveaux modes de financement". Une "révolution de la consommation" aurait eu lieu à la fin du XVIIIe, un siècle déjà chargé par nombre de révolutions. Elle se caractérise par le fait que "la consommation régulière de biens manufacturés devient désormais accessible à une part non négligeable de la population et modifie l'étendue et la nature de la demande". Le premier chapitre (58 pages) présente les types de consommation pendant la révolution industrielle, avec une foule d'exemples concrets, de données chiffrées, d'observations de l'époque et d'anecdotes qui permettent d'en restituer une image précise et colorée. Les cas sont pris dans toute l'Europe de l'Ouest et pas seulement en Angleterre, on apprend par exemple que les premières impressions de coton pour concurrencer les indiennes sont réalisées à Marseille dès 1648, ou encore que l'industrie cotonnière se développe autour de Barcelone, le premier centre en Europe de fabrication de cotonnades dans les années 1780 — avant Manchester semble-t-il, alors que les machines à filer, les jennies, sont importées de Grande-Bretagne en 1785, peu après leur invention.
Le deuxième chapitre de cette partie (100 pages) étudie les divers types de transport et les réseaux du négoce dans toute l'Europe et en Amérique. Il s'agit d'un traitement très dense du sujet, à la Braudel, avec une masse d'informations, une multitude de sources, un goût du détail, qui font revivre de façon passionnante les conditions de l'époque. Une anecdote entre cent : une note de 1843 explique que les Français ne peuvent exporter des draps vers la Chine car il leur manque 4 pouces (dix centimètres) et "les Chinois sont un peuple excessivement systématique et coutumier". Les Anglais prendront le marché en s'adaptant, alors que les Français ont la fâcheuse habitude "de ne pas assez tenir compte des coutumes et bizarreries des nations qu'ils ne connaissent pas", ils veulent "leur donner mieux que ce qu'elles demandent et ne réussissent qu'à faire dédaigner leurs produits" (cité p. 255).
Le troisième chapitre (113 pages) analyse de façon extrêmement détaillée et approfondie la dynamique des marchés en fonction des structures sociales. L'auteur rejette les explications fondées sur l'offre et s'attache à analyser la demande des divers groupes comme les agriculteurs, les artisans, les industriels, les couches populaires et les classes moyennes naissantes, à partir des travaux quantitatifs récents. La demande d'investissement et son évolution[17] sont également analysées. Si les revenus n'augmentent pas au XVIIIe siècle, la quantité de travail fournie s'élève, notamment de la part des femmes et enfants, ce qui explique une consommation croissante. Au XIXe au contraire, la poussée démographique et la lente amélioration des revenus réels permettent d'élargir toujours plus la demande de produits manufacturés en Grande-Bretagne et sur le continent. Les États-Unis se caractérisent par des salaires plus élevés et une moindre inégalité des revenus, liés à la pénurie relative de main d'œuvre, et aussi par un processus d'industrialisation par substitution d'importations au XIXe siècle.
Le dernier chapitre du livre (218 pages) traite du commerce international, c'est de loin le plus important avec plus d'un tiers de l'ouvrage, hormis les annexes. Il constitue une impressionnante synthèse, un travail de référence sur la question des échanges et de l'industrialisation, en fait l'étude la plus complète existant sur ce thème, qui rendra des services considérables à tous ceux qui s'intéressent à la période. Par son ampleur, ce chapitre aurait pu faire l'objet d'un livre à part. La somme de travail, la précision du détail, la clarté dans la présentation des données, la rigueur de l'analyse laissent pantois. Le commerce du XVIIe siècle, dominé par les Hollandais, est tout d'abord retracé, puis les rivalités entre la France et la Grande-Bretagne au XVIIIe, ainsi que les effets de la coupure de 1792-1815. On regrettera pourtant que la question de la ruine des ports et du grand commerce français à la suite des guerres de la Révolution et de l'Empire ne soit pas assez développée. Enfin les échanges au XIXe sont étudiés également en détail.
L'auteur conteste l'idée qu'au XVIIIe siècle les marchés extérieurs aient eu peu d'importance du fait de la faiblesse des taux d'ouverture des économies (idée reprise avec force dans la conclusion, p. 619-620). La croissance spectaculaire du commerce colonial à l'époque, et spécialement des importations de coton qui conditionnent l'industrie clé de la révolution industrielle, les filatures et fabriques de Manchester, justifient à l'évidence cette analyse. Au XIXe, même si les marchés intérieurs constituent le stimulant principal de l'activité économique (p. 401), les débouchés extérieurs et spécialement les marchés d'outre-Atlantique connaissent aussi une croissance rapide, et le taux moyen d'ouverture en Europe passe de 4 à 9% (8 à 18% pour la Grande-Bretagne, 5 à 11,5% pour la France, ibid.).
La conclusion de l'ouvrage fournit la clé du titre : "en un siècle et demi... l'économie occidentale, par ses productions et ses consommations, se hisse à l'échelle du monde" (souligné par nous). Un ordre mondial s'établit avec une production sur une grande échelle, ordre qui dépasse les pays et les régions vivant jusque là plus repliés sur eux-mêmes qu'ouverts à l'extérieur. C'est ce changement de niveau, cette première mondialisation — où le rôle de la demande, tant interne qu'internationale, est essentiel —, qui est étudié tout au long du livre. Celui-ci fournit, comme le dit trop modestement l'auteur, "une contribution à l'intelligence du monde contemporain", une contribution brillante et essentielle que nombre de nos observateurs d'aujourd'hui feraient bien d'étudier pour éviter des incompréhensions dans le fonctionnement des sociétés modernes. Cette somme remarquable enrichit notre connaissance de l'industrialisation du monde occidental. C'est un ouvrage de référence, unique en langue française et sans doute aussi dans le monde anglo-saxon, capable de satisfaire, et au-delà, la faim de savoir tant du spécialiste que de l'étudiant, ou de l'honnête homme intéressé par cette période charnière, cette fracture fondamentale dans l'histoire de l'humanité qu'a été la révolution industrielle.
RÉFÉRENCES
Aldrich R., 1987, "Late-Comer or Early-Starter? New Views on French Economic History", Journal of European Economic History, 16(1), p. 89-100
Cameron R. and C.E. Freedeman, 1983, "French Economic Growth: a Radical Revision", Social Science History, n° 7, Winter, p. 3-29
Crafts N.F.R., 1977, "Industrial Revolution in England and France: Some Thoughts on the Question «Why Was England First?»", Economic History Review, 30(3), p. 429-441
De Vries J., 1994, "The Industrial Revolution and the Industrious Revolution", Journal of Economic History, 54(2), Juin, p. 249-270
Gilboy E.W., 1932, "Demand as a Factor in the Industrial Revolution", in : A.H. COLE et alii, Facts and Factors in Economic History, Cambridge, Mass.: Harvard University Press ; repris dans R.M. Hartwell (éd.), The causes of the industrial revolution in England, London: Methuen, 1967, p. 121-138
McCloskey D., 1994, "1780-1860: A Survey", in : The Economic History of Britain since 1700, vol. 1, Cambridge University Press, p. 242-270
Verley P., 1985, la Révolution industrielle (1760-1870), Paris : MA Éditions
Verley P., 1991, "la Révolution industrielle anglaise : une révision", Annales ESC, n° 3, Mai-Juin, p. 735-755
Verley P., 1992, la Révolution industrielle, Paris : Association pour le développement de l'histoire économique
Verley P., 1994, Entreprises et entrepreneurs du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, Paris : Hachette
Verley P., 1999b, "Économie de marché, une construction historique", Alternatives économiques, n° 166, janvier, p. 66-69
Wordie J.R., 1983, "The Chronology of English Enclosure, 1500-1914", Economic History Review, 36(4), November, p. 483-505
[1] Voir sa nécrologie dans Le Monde du 18 février 1999 par Serge Marti. L'Association des amis de Paul Bairoch a réuni en son hommage un colloque international à Genève, du 1er au 3 mai 1999, sur l'évolution économique au XXe siècle (cf. "Les « cent glorieuses » ou les folles années de l'économie", E. Izraelewicz, dans le supplément du Monde du 7/5/99, "Le Siècle").
[2] Ce titre, préféré au sous-titre plus classique Histoire économique et sociale du monde du XVIe siècle à nos jours, est caractéristique du style familier de l'auteur. Il évoque curieusement une comédie récente de Blake Edwards, Boire et déboires, dont l'humour est assez éloigné du propos austère du livre.
[3] Quelques exemples : p. 115, t. 1 : "Mais, plus que Quesnay, c'est évidemment Adam Smith qui est considéré comme étant le principal fondateur de la science économique." ; p. 259 : "Ce système s'est traduit par une incitation aux progrès techniques, car garantissant à l'inventeur des bénéfices ; c'est même considéré par l'historien économiste, et prix Nobel, Douglas (sic) C. North comme un facteur primordial du développement..." ; p. 13, t. 2 : ..."la véritable physionomie de ce siècle-charnière... une période-charnière qui s'articule autour des années 1860-1880 (1870 faisant office arbitrairement d'année-charnière). Il est adéquat de parler d'année-charnière "arbitraire", puisque..." ; p. 91, t. 3 : "C'est d'ailleurs ses supérieurs militaires qui l'envoyèrent, etc. ; les riches villes du Brésil nées des mines d'or au XVIIIe siècle ne sont pas "somptuaires" mais plutôt somptueuses (p. 525, t. 1).
[4] Ainsi : "En 1396, quand l'empereur de Byzance, Manuel II, homme très capable, fit le tour des capitales occidentales afin de chercher de l'aide, ce fut en vain" (p. 74, tome 1) ; ou bien : "Où cette révolution s'est-elle d'abord produite ? (autrement dit, quel est son lieu de naissance ?)", p. 215 ; et encore : "Dès le début du XIXe siècle (et nous spécifions bien le XIXe siècle), le Royaume-Uni est... (p. 236) ; "D'ici l'an 2005, c'est-à-dire bientôt... (p. 1045, t. 3).
[5] Quelques critiques de détail peuvent être ajoutées à propos du tome 1 :
— Contrairement à ce que dit l'auteur page 216 — lorsqu'il définit Angleterre, Grande-Bretagne et Royaume-Uni —, l'Angleterre ne comprend pas le Pays de Galles, elle est bornée à l'ouest par celui-ci et au nord par l'Écosse, et forme avec eux la Grande-Bretagne.
— Il n'est pas tout à fait justifié de dire que l'anglicanisme est la forme de protestantisme la plus proche du catholicisme (p. 227), car le compromis élizabéthain qui l'a fondé retient du catholicisme le rite, c'est-à-dire l'accessoire, et du calvinisme, le dogme (notamment la prédestination), c'est-à-dire l'essentiel. Pour Max Weber, l'anglicanisme est une forme de calvinisme liée à "l'esprit du capitalisme" et bien éloigné de l'éthique catholique.
— L'Angleterre n'est pas une monarchie parlementaire depuis la révolution de 1649 (p. 227), mais depuis "la glorieuse révolution" de 1688-89. La première a établi une république théocratique et autoritaire (le Commonwealth de Cromwell), c'est la seconde avec le Bill of Rights qui a donné au pays ses institutions actuelles.
— Comme c'est le cas de nombreux terriens, l'auteur confond les milles et les nœuds : à propos de la cogge du XIIIe siècle (p. 44), il parle d'un navire "relativement rapide (10 à 15 milles par bon vent)". Outre que le mille n'est pas une vitesse mais une distance, et si on suppose qu'il s'agit de milles par heure, c'est-à-dire de nœuds, ces chiffres semblent un peu élevés pour l'époque, quand on sait que les voiliers de plaisance modernes se satisfont d'une vitesse de 7 à 8 nœuds.
— La discussion sur la peste de 1347-48 (p. 52 sq.) est un peu courte et les causes du phénomène et de sa disparition ne sont pas analysées (voir Appleby, 1980, pour une synthèse sur la question).
— Enfin, on peut contester l'idée d'un "échec du libre-échange" de la période 1860-1890 (p. 416). Le traité Cobden-Chevalier est suivi en France par exemple d'une croissance industrielle rapide parce que les firmes françaises peuvent enfin acquérir des matières premières importées à des coûts réduits (fer, charbon) et par là devenir plus compétitives et développer leurs exportations.
[6] L'auteur commence par décrire les migrations dans les sociétés traditionnelles et donne l'exemple d'Erasme, né vers 1469 à Rotterdam (ses parents meurent de la peste en 1484 et on apprend qu'"il était le fils d'un curé" ???), qui passe sa vie à voyager à travers l'Europe et à s'établir dans divers pays (p. 169-170).
[7] Ou plutôt attribuée à Ricardo, car son premier auteur est en 1815 le colonel Robert Torrens (1780-1864) dans Essai sur le commerce extérieur du blé (cf. H. Denis, Histoire de la pensée économique, Thémis, Paris : PUF, 1967, p. 486 ; A. Silem, Histoire de l'analyse économique, Paris : Hachette, 1995, p. 77).
[8] La vision à long terme de l'historien à propos de ces conflits est très éclairante : "Dans un ou deux siècles, le recul historique aidant, on considérera les deux guerres mondiales comme une seule guerre, interrompue par une trêve de vingt ans".
[9] Il nous rappelle ainsi que la décolonisation a été plutôt réussie (p. 665) : sur 87 pays qui acquirent leur indépendance, cinq seulement durent passer par des guerres. Il s'agit d'anciennes colonies françaises (Viêt-nam, Algérie) et portugaises (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau).
[10] MA Éditions, 6, rue Émile Dubois, 75014 Paris.
[11] Ce dernier est basé sur Verley, 1991.
[12] L'assimilation de fabrique (p. 508) à putting-out system, système des industries rurales, est contestable puisque le mot fabrique correspond à l'anglais factory et concerne donc plutôt le système du même nom, le fameux factory system, traduit par l'auteur en "système usinier" (p. 87).
[13] Un exemple est cependant la notice sur les enclosures (p. 253) qui ne cite pas le travail de Wordie (1983). Celui-ci avait tenté de chiffrer le rythme du processus et il constatait qu'elles se ralentissaient au XVIe siècle (2% de terres encloses contre 24% au XVIIe) parce que la poussée démographique avait renchéri le prix des céréales par rapport à la laine (au départ la clôture des terres est liée à l'extension de l'élevage du mouton). L'affirmation de Verley sur "la forte poussée des enclosures au XVIe siècle" qui "se ralentit ensuite" est donc contredite par ces résultats.
[14] Les manuels et ouvrages récents publiés en français sur le sujet et destinés au même public ne sont pas cités, par exemple La Révolution industrielle, 1780-1880 de J.-P. Rioux, Seuil, 1989, ou Les Révolutions industrielles de F. Cochet et G.-M. Henry, Armand Colin, 1995.
[15] Les définitions (p. 90-91) ne satisferaient guère un économiste : la valeur ajoutée n'est pas "la différence entre valeur des produits vendus et valeur des matières premières", mais plutôt entre valeur des produits vendus et valeur de tous les achats (achats de biens — matières premières et produits finis — plus les achats de services divers) ; l'amortissement est défini de façon comptable et non économique ; l'élasticité n'est pas un pourcentage, et certainement pas "le pourcentage de variation de la demande d'un bien lorsque son prix baisse de 1%" ; les économies d'échelle ne se transforment pas nécessairement en déséconomies d'échelle ; le salaire réel ne s'obtient pas "en divisant le salaire nominal par un indice du coût de la vie" : pour obtenir l'indice du salaire réel, on doit diviser un indice du salaire nominal par un déflateur représentant le coût de la vie (lui-même égal à un indice divisé par 100).
[16] Sur un ouvrage aussi volumineux, quelques défauts de détail sont inévitables qui n'enlèvent bien sûr rien à sa qualité :
— Des erreurs sur les noms propres comme celui de Hirschman (p. 185, 483, 640, 673, 696), Douglass North (p. 63 et 701) ou Ternaux-Terneaux (p. 150), ou bien des imperfections comme "mono-causales", p. 184.
— L'emploi de néologismes contestables comme "perdurance" (p. 282) : bien que le vieux terme "perdurer" ait repris du service depuis quelques années (alors que "durer" ferait tout aussi bien l'affaire) et que la création d'un substantif aille dans le même sens, l'usage d'un mot plus banal comme "maintien" sonnerait peut-être mieux. Il en va de même dans l'ouvrage précédent (1999) pour le terme "pastorisation" : pasteurisation, pastoralisation ? (p. 82).
— P. 26 : Peterloo n'est pas un quartier de Manchester, il s'agit du nom donné par dérision à la tuerie de St-Peter's Field (en référence à Waterloo), et la manifestation ouvrière concernait la réforme électorale et non la menace des machines.
— Certaines précisions semblent inutiles dans un ouvrage érudit de ce type, destiné à des lecteurs informés, par exemple la note 9 de la page 115 qui précise à propos des Treize colonies : "Nom des États-Unis avant l'Indépendance" (définition d'ailleurs mal formulée car il n'y avait évidemment pas d'États-Unis avant l'indépendance).
— On pourra contester aussi des expressions de marine comme celle de la page 191 où l'on a des navires "mouillés... le long d'un quai" : un navire mouillé est à l'ancre, en rade, mais s'il est à quai, il est forcément amarré et ne peut être mouillé.
[17] Le doublement du taux d'investissement en Angleterre de 1760 à 1831, de 6 à 11,7%, selon les estimations de Crafts, confirme l'intuition de Rostow à propos du take-off (voir aussi le tableau de la page 67 de La Révolution industrielle, Verley, 1997, ouvrage présenté ci-dessus).