Chapitre 2  L'Industrialisation du continent

 

 

Sommaire

 

 Introduction

1. Le temps des révolutions (1815-1851)

1.1. Succès et échecs de l'industrialisation en Belgique et aux Pays-Bas

1.2. La France d'un empire à l'autre, entre conservatisme et révolutions

1.3. L'industrialisation et l'intégration économique de l'Allemagne

2. Le temps du capital (1851-1914)

2.1. La modernisation de la France dans la deuxième moitié du XIXe siècle

2.1.1. Le second Empire ou la fête impériale

2.1.2. La grande dépression : 1873-1896

2.1.3. La Belle Époque (1896-1914)

2.2. Le grand essor de l'Allemagne

Conclusion

 

 

Objectifs de connaissance :

 

Après l'étude du chapitre, l'étudiant doit être à même :

—  de comprendre le mécanisme de la diffusion de l'industrialisation sur le continent européen ;

— d'analyser les transformations économiques en Belgique et en France dans la première moitié du XIXe siècle ;

— de retracer les étapes de l'intégration économique des États allemands au XIXe siècle ;

— d'expliquer le rôle des banques, du chemin de fer et de l'ouverture extérieure dans la modernisation de la France sous le second Empire ;

— de comprendre les caractères et les mécanismes de la grande dépression de 1873-1896.

 

FRANCE

 

1815-1830 RESTAURATION

 

1830-1848 MONARCHIE DE JUILLET

 

1848-1851 DEUXIÈME RÉPUBLIQUE

 

1851-1870 SECOND EMPIRE

 

1870-1914 TROISIÈME RÉPUBLIQUE (...1940)

 

 

Introduction

 

 L'industrie moderne est apparue selon des "taches" géographiques débordant les frontières et dont la présence peut s'expliquer par divers facteurs :

 

— l'existence de gisements de fer ou de charbon ;

 

— la présence d'un vieux centre d'industries traditionnelles ayant permis un développement proto-industriel débouchant sur le factory system ;

 

— l'absence de régulation corporatiste et de contrôle étatique, comme en Flandre, favorisant la montée des relations de marché ;

 

— la proximité d'un grand port : la facilité des transports et le commerce international exerçant des effets industrialisants bien connus.

 

 

 

 

   Sur le continent, la première région industrialisée est à l'ouest : elle va du nord de la France jusqu'à la Suisse en suivant une forme de croissant comprenant la Belgique, la Ruhr, la Westphalie et l'Alsace ; on peut constater qu'elle recouvre cinq pays différents : France, Belgique, Luxembourg, Allemagne, Suisse.

 

La seconde, à l'est, inclut la Silésie, la Bohême et la Saxe, qui ont appartenu à quatre pays au cours de leur histoire (Pologne, Autriche, République Tchèque, Prusse).

La Belgique, "pays-province" de par sa taille, réunit toutes les conditions favorables à l'industrialisation : région carrefour de l'Europe, vieille tradition industrielle et urbaine, proximité de la Grande-Bretagne et de ses innovations, gisements miniers.

 

   Rondo Cameron propose pour sa part "une nouvelle vision de l'industrialisation européenne", où deux facteurs ont joué un rôle essentiel : le charbon, la source d'énergie pour les nouvelles machines et la sidérurgie, et le capital humain qui s'est révélé "capable dans de nombreux cas de se substituer à (ou de compenser) d'autres facteurs manquants ou insuffisants".

 

 Le cas de la France, le plus éloigné du modèle anglais à cause de la rareté du charbon, pourrait bien aussi être le plus proche de celui de la plupart des pays continentaux.

 

La nécessité de reposer davantage sur l'énergie hydraulique, impossible à concentrer, explique les caractéristiques de l'industrie française : la persistance de petites entreprises, la dispersion et la faible urbanisation (43% de citadins, contre 62% en Allemagne et 88% en Angleterre), caractéristiques qu'on retrouve dans les pays sans ressources minières comme l'Italie ou l'Autriche-Hongrie.

 

L'accent mis ensuite sur l'énergie hydro-électrique permet de poursuivre une industrialisation décentralisée.

 

 

 


 

1. Le temps des révolutions (1815-1851

 

1830, 1848

 

1.1. Succès et échecs de l'industrialisation en Belgique et aux Pays-Bas

 

   La Belgique est le cas le plus proche du modèle anglais de révolution industrielle, grâce au fer et au charbon, mais il en différe car l'État mène déjà une véritable politique d'industrialisation sous le règne du souverain hollandais Guillaume Ier (1815-1840).

 

 

 

 

 

1815 BELGIQUE ET PAYS-BAS

 

 

CONGRÈS DE VIENNE EN 1815

 

TALLEYRAND, METTERNICH

 

 

1830 INDEPENDANCE DE LA BELGIQUE

 

 

 

 La machine de Newcomen était arrivée par exemple à Liège dès 1720 et soixante sont en service avant la Révolution, tandis qu'on y compte une vingtaine de machines de Watt dans les usines textiles vers 1815.

 

Le pays bénéficie le premier sur le continent d'institutions financières modernes comme celles de la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale des Pays-Bas (1822) ou la Banque de Belgique (1835) et d'un statut ouvert pour les sociétés anonymes lancées grâce aux capitaux de ces mêmes banques.

 

Les transports sont faciles dans un petit et plat pays, et le marché dense comme en Angleterre, situé en outre près des grands centres de consommation.

 

 

   En 1850, avec la sidérurgie, les textiles, les armements, la construction de machines, le verre, le sucre et bien sûr l'industrie minière, la Belgique est le pays le plus industrialisé dans le monde après la Grande-Bretagne.

 

 

   Le principal groupe est celui de William Cockerill d'origine anglaise : "un empire industriel" aux multiples participations, préfigurant les FMN modernes. Établi à Verviers (industrie lainière) et Liège (métallurgie), il s'étend du textile au fer, des mines à la mécanique, des locomotives à la finance, des industries alimentaires à des plantations au Surinam. L'entreprise de Seraing devient "la plus grande du monde, à la pointe de la technologie, intégrant tout le processus productif de la mine de charbon et de fer à la construction de machines".

 

 

SURINAM

 

 

 

 

 

 

   La Hollande au contraire a connu une industrialisation extrêmement tardive au XIXe siècle.

 

 

  Les principales causes de cette situation, évoquées par les historiens, sont l'absence de charbon et de fer,

 

 les salaires élevés,

 

 le retard du chemin de fer à cause de la facilité des transports par voie d'eau,

 

 

la tradition commerciale qui permet d'acquérir les produits manufacturés à meilleur compte à l'étranger et qui correspond à une spécialisation tertiaire (les services représentent plus de 50% du revenu national à la fin du XIXe siècle)

 

 

 et aussi l'esprit conservateur au plan technique de la bourgeoisie d'affaires hollandaise.

 

   Le congrès de Vienne a réuni la Belgique et la Hollande pour former le royaume des Pays-Bas,

 

 

et dans ce royaume, "c'est la Hollande qui détenait les capitaux, mais c'est la Belgique qui s'est développée" dit Pollard,

 

 

 qui attribue cette différence aux bas salaires de la Belgique, à la différence de ceux de la Hollande où les profits sont donc réduits et aussi le rythme de l'accumulation du capital.

 

 

Mais la Belgique obtient son indépendance grâce à la révolution de 1830 et l'idée un moment caressée par les Hollandais "d'en faire la partie industrialisée d'un royaume unifié doit être abandonnée".

 

 

 Le retard de la Hollande sera cependant rattrapé au moment de la seconde révolution industrielle dans les années 1890, grâce au développement d'une industrie électromécanique et d'industries agro-alimentaires autour de firmes géantes.

 

 

1.2. La France d'un empire à l'autre, entre conservatisme et révolutions

 

PREMIER EMPIRE ...1815

 

SECONDE EMPIRE 1851...

 

HANDICAPS, ATOUTS

 

   La France sort de la tourmente révolutionnaire avec des institutions adaptées à la croissance capitaliste,

 

 

 

 

 un marché unifié

 

 

 

et un capital technique et scientifique considérable.

 

 

 

 

 L'avance scientifique française au début du XIXe siècle va faciliter l'industrialisation du pays : des firmes comme Kulhmann fondée par un chimiste dès 1825 et des grandes écoles scientifiques tournées vers l'industrie comme les Arts et Métiers et Centrale.

 

 

 

 

 

 

 Les premiers efforts systématiques de scolarisation à l'échelle nationale datent de cette époque : la loi Guizot en 1833 impose la création d'écoles élémentaires dans toutes les communes, écoles financées par les communes et où vont œuvrer des

 

 

 instituteurs comme Pierre Larousse, Jean Macé, Louise Michel (LA COMMUNE, 1871, Pauline Roland (RÉVOLUTION DE 1848.

 

 

 

 Cependant la démographie est moins dynamique qu'ailleurs en Europe avec une natalité déjà en régression : la population n'augmente que de 31% entre 1800 et 1850, contre 42% en Allemagne et 47% en Angleterre.

 

 

TRANSITION DÉMOGRAPHIQUE

RÉVOLUTION FRANçAISE

"BIENS NATIONAUX"

REDISTRIBUTION, "RÉFORME AGRAIRE"

PETITES PROPRIÉTÉS FAMILIALES   1960

LANDLORDS, JUNKERS, LATIFUNDIOS

RENTABILITÉ FAIBLE, AGRICULTURE PEU PRODUCTIVE

 

BAISSE DE LA NATALITÉ RURALE

 

 

 

 

 

 

Le pays a perdu ses débouchés coloniaux en 1815, les ports sont ruinés par un quart de siècle de mise en veilleuse,

 

 et l'Europe se referme qui devait servir, dans le rêve napoléonien, de grand marché pour l'industrie française.

 

 

 

 

 

 

 D'autres handicaps s'ajoutent comme des transports coûteux et des régions isolées, une petite paysannerie traditionaliste, et au début, avec les Bourbons, une élite et un régime politique plutôt frileux et peu intéressés au développement des nouvelles techniques industrielles.

 

 

Selon la formule de Hobsbawm :

 

 

"la partie capitaliste de l'économie française est une superstructure érigée sur la base immuable de la paysannerie et de la petite bourgeoisie."

 

 

 

 

 

   Mais l'obstacle le plus important est la rareté du fer et du charbon et leur prix élevé.

 

 La production de fonte au charbon de bois va subsister plus longtemps qu'en Angleterre ou en Belgique. Pour la même raison, l'énergie hydraulique garde une grande importance et des progrès majeurs y seront réalisés comme l'invention de la turbine.

 

 

 

 

   Malgré la relative pauvreté en charbon qui implique des importations élevées (un tiers de la consommation en moyenne), la production augmente rapidement avec les besoins de l'industrialisation, de 1Mt en 1816 à plus de 5 Mt en 1847.

 

 

Les mines de charbon de la Loire fournissent plus de 40% de la production en 1830 et celles du Nord (Anzin/Denain) commencent à être exploitées sur une grande échelle dans les années 1840.

 

 

Le fer envahit tous les domaines comme en Angleterre quelques décennies plus tôt, mais plus vite encore à cause des débouchés dans les chemins de fer naissants : la sidérurgie connaît un taux de croissance de 6% de par an entre 1835 et 1847.

 

 

 

 

Les fonderies du Creusot, en crise pendant toute la période révolutionnaire, sont reprises par la famille Schneider et redémarrent en 1836, grâce à des prêts de la banque Seillière.

 

 

 

 La production de fonte au coke dépasse celle au charbon de bois, bien que les hauts fourneaux au bois représentent encore en nombre la majorité (433 sur 500 en 1837).

 

 

 La production de machines à vapeur entraînée par les débuts du chemin de fer connaît un boom sous Louis-Philippe : la production passe de 600 machines en 1830 à 5000 en 1847.

 

Les grands constructeurs de locomotives (Fives-Lille, Schneider, Cail, Batignolles, Koechlin) apparaissent à cette époque.

 

 

   Le textile occupe la moitié des effectifs industriels et les industries se spécialisent à l'exportation dans les produits de haute qualité comme les soieries lyonnaises et diverses cotonnades. La Normandie (pays de Caux) et l'Alsace (plus mécanisée avec de grandes firmes comme Dollfus-Mieg) sont les deux grands centres du travail du coton. La laine connaît une expansion remarquable autour de Roubaix où elle se mécanise (métiers Jacquard) et lance les "nouveautés" (mélange de fibres de laine et coton) dans les années 1830.

 

CHEMIN DE FER

 

 

 

   Les investissements en infrastructures de transport (canaux, rivières, routes, ports) se multiplient avant même l'arrivée du chemin de fer.

 

 

 

 

 

 

 Les premières lignes de chemin de fer suivent de près la ligne Stockton-Darlington (1825) :

 

 

St Étienne-Lyon, 1832,

 

Paris-St Germain, à l'instigation d'Émile Péreire et des Rothschild en 1837 (première ligne pour passagers),

 

Paris-Versailles (un des premiers accidents ferroviaires y a lieu en 1842 : 45 morts à la suite de l'explosion d'une chaudière)

 

et Strasbourg-Mulhouse, 1840.

 

 

 Beaucoup d'obstacles seront opposés à la construction des grandes liaisons par les intérêts hostiles ("voituriers et mariniers, aubergistes et charrons, éleveurs et maîtres de poste").

 

 Les craintes et les réticences sont multiples et bien connues. Thiers, protectionniste et conservateur invétéré, opposé sur la question aux saint-simoniens, partisans enthousiastes du chemin de fer, s'exclame à propos de la ligne Paris-Saint Germain :

 

 

"Qu'on donne cela aux Parisiens pour les amuser, mais ça ne transportera jamais ni voyageurs ni colis" !

 

RÉSEAU EN ÉTOILE  (PARIS)

 

 

   Cependant, les grandes liaisons vont s'établir dans les années 1840 et 1850, avec la loi de 1842 qui prévoit de faire partir les lignes de la capitale :

 Paris-Rouen et Paris-Orléans, 1843,

 Paris-Lille-Bruxelles, 1847,

 Paris-Bordeaux-Toulouse, 1852,

 Paris-Lyon-Marseille, 1857.

 

PRIVÉ/PUBLIC

 

 

L'État et le secteur privé se partagent les chemins de fer par cette même loi : grosses infrastructures et gares,

achat et propriété des terrains,

 pour l'un,

 

 

 concessions de 99 ans sur ces terrains,

 

 travaux de pose des rails,

 fourniture du matériel,

exploitation des lignes, pour les nombreuses compagnies privées.

 

 

 

 

 Les investissements massifs (jusqu'à un quart de l'investissement national dans les années 1850) sont financés par les banques qui émettent les titres des sociétés ferroviaires en bourse (sous forme d'actions de sociétés anonymes).

 

 

 

 

 

   La Haute Banque parisienne et lyonnaise (grandes banques familiales juives ou protestantes, parce que les deux traditions ne voyaient pas depuis longtemps d'obstacle religieux à la pratique de l'intérêt, comme Seillière, Fould, Mallet, Vernes, Neuflize, Hottinguer, Lazard, Rothschild) est spécialisée dans "le grand commerce, les placements d'État, et dans certains cas des placements industriels".

 

 

La banque ne parvient pas à mobiliser la petite épargne et ne fournit pas aux entreprises le crédit à court terme suffisant, elle utilise ses propres capitaux et ceux des grandes fortunes qu'elle gère. La pratique de l'autofinancement domine l'investissement à long terme.

 

Le crédit est assuré en province par les banques locales, les notaires, les usuriers, les escompteurs.

 

La France est très en retard au plan monétaire au début du siècle, certaines régions en sont encore au troc et les billets représentent moins de 20% de la masse monétaire.

 

 

 

   Le démarrage des grands progrès agricoles et la hausse rapide de la production se situe dans les années 1820, sous la pression démographique.

 

On a parlé de surpeuplement des campagnes françaises dans la première partie du siècle. L'exode rural ne prend de l'ampleur que pendant la monarchie de Juillet et dans les années 1850 avec les progrès de la productivité agricole (qui s'accroît de 1,2% par an jusqu'à 1860) et la création d'emplois industriels.

 

 

En 1840, 21% des terres cultivables sont consacrées à la jachère qui en représente encore 18% en 1852, mais seulement 10% en 1880.

 

 

 

Les céréales occupent plus de la moitié des cultures. Les rendements restent faibles, proches de ceux du XVIIIe siècle.

 

   Les premières machines agricoles (batteuses) apparaissent sous la Restauration, des rotations plus complexes se mettent en place et le bétail commence à être exploité de façon rationnelle, en liaison avec les cultures.

 

 

 

Les progrès des transports, surtout avec le chemin de fer, permettent la spécialisation des régions dans un vaste marché national unifié et la réduction des écarts de prix.

 

 

Le résultat de ces divers facteurs est une croissance de la production agricole de 0,8% par an en moyenne au XIXe (tableau 1), alors que la population n'augmente sur le siècle qu'au rythme de 0,4% par an. Cela correspond à une augmentation de plus de 40% de la production alimentaire par tête,

 

 

qui met fin à des siècles de disettes et de famines : l'ère de l'abondance alimentaire commence en France, comme cela a déjà été le cas en Hollande et en Grande-Bretagne.

 

 

 

   En résumé, le démarrage économique commence pendant la Restauration, il s'accélère sous la monarchie de Louis-Philippe et surtout pendant la première décennie du second Empire (voir plus loin et tableau 4).

 

 

 

Tableau 1  Croissance de la production agricole au XIXe siècle, taux annuels moyens en %

 

1803

1812

1815

1824

1825

1834

1835

1844

1845

1854

1855

1864

1865

1874

1875

1884

1885

1894

1895

1904

1905

1913

 

0,27

0,78

1,08

1,33

1,13

1,19

0,53

0,09

0,35

1,04

0,69

 

 

 

1.3. L'industrialisation et l'intégration économique de l'Allemagne

 

ETATS ALLEMANDS -> EMPIRE ALLEMAND, 1871

 

1.3.1. L'industrialisation

 

   Le développement industriel commence en Prusse méridionale : la Haute Silésie (actuellement en Pologne), grâce à ses mines de charbon et de fer, voit les premiers hauts fourneaux au coke (Gleiwitz, 1796);. La Sarre et la Saxe sont également des régions industrielles, mais c'est surtout la Prusse occidentale qui va se développer lorsque les gisements profonds de fer et surtout de charbon de la Ruhr, les plus importants du monde à l'époque, sont découverts vers 1838 et commencent à être exploités sur une grande échelle à partir de 1849.

 

 La production houillère passe de 1,7 Mt en 1850 à 9 Mt en 1865. Des hauts fourneaux, des machines à vapeur, des industries textiles s'y implantent avec les grandes entreprises symboles de la future puissance industrielle du pays, comme Thyssen ou Krupp.

 

Alfred Krupp

 

   Alfred Krupp (1812-1877) hérite à 14 ans en 1826, à Essen, d'une petite entreprise sidérurgique de sept ouvriers.

 

 Emportée par la vague de l'industrialisation de l'Europe continentale, la firme va devenir un empire industriel.

 

La découverte de fer et de charbon dans la Ruhr, ainsi que le démarrage des investissements ferroviaires, permettent l'essor de l'entreprise. Il produit des roues en acier qui deviennent son symbole, des essieux, des rails et des canons.

 

Dès lors c'est une prospérité ininterrompue, les commandes affluent de toute l'Europe, les usines Krupp qui n'avaient encore que 72 ouvriers en 1848, en compteront 1000 en 1857, 6000 en 1864, 12 000 en 1873 et 78 000 en 1913.

 

 

 

Le procédé Bessemer est introduit en 1866, les usines Krupp utilisent

 

"400 fours, 280 tours, 160 machines à vapeur, 39 marteaux à vapeur dont les plus lourds du monde... et elles produisent la moitié de la production d'acier de la Prusse... Entre 1875 et 1880, 84% de la production d'armes est exporté".

 

En 1871, l'Allemagne vient de gagner deux guerres et de réaliser son unification, Krupp est une firme gigantesque, l'une des plus importantes d'Europe, avec des participations diverses, des navires, des mines de fer en Espagne, et une production d'armes, de machines et d'acier dont la réputation est universelle.

 

 

   Cette expansion est liée à celle de la Ruhr, la plus importante région industrielle d'Europe à la fin du siècle : les villes, parfois de simples villages vers 1830, forment une zone urbaine continue (Essen, Hamborn, Düsseldorf, Cologne, Dortmund, Wuppertal et Duisburg qui devient le premier port fluvial dans le monde). La main d'œuvre afflue de toute l'Allemagne et de Pologne (un tiers des ouvriers sont d'origine slave vers 1890), et l'industrie allemande bascule d'est en ouest, de la Silésie de ses origines au bassin rhénan, dont Krupp symbolise la puissance.

 

 

 

 

1.3.2. L'intégration économique

 

   L'Allemagne, morcelée depuis le Moyen Âge, compte 300 princes souverains en 1790. Elle se caractérise encore en 1815 par un enchevêtrement de 38 États indépendants,

 

protégés par des barrières douanières et séparés par des péages,

 

 

 dont les structures économiques sont encore largement rurales et même féodales : un système "intermédiaire entre le régime seigneurial français de l'Ancien Régime et le servage russe".

 

 En 1807, le servage est supprimé avec la présence française,

`

 

mais les corporations, la Ligue des artisans allemands très puissante et combattue par des économistes comme List, ne verront leurs privilèges réduits qu'en 1845, puis abolis en 1868 avec la proclamation de la liberté d'entreprise pour toute la Confédération, sous l'initiative de la Prusse, qui avait déjà proclamé la liberté d'entreprise en 1807.

 

 

 La Diète confédérale réunit tous les représentants des États allemands, mais elle est impuissante, devant statuer à l'unanimité de ses nombreux membres.

 

Le retard technologique est général, les transports insuffisants,

 

l'urbanisation peu avancée (deux villes seulement, Berlin et Hambourg comptent plus de 10 000 habitants).

 

 

 L'intégration économique fera de ces États, en un demi-siècle, une nation unifiée sous la férule de la Prusse.

 

 

 

Celle-ci est elle-même coupée en deux avec le Hanovre au milieu : à l'ouest la Prusse rhénane, catholique, libérale et d'influence française, à l'est la Prusse traditionnelle, luthérienne et autoritaire.

 

 

 La réussite du Zollverein constitue un modèle pour l'Europe d'aujourd'hui.

 

1810-1820

 

GRANDE ALLEMAGNE : ETATS ALLEMANDS + AUTRICHE-HONGRIE

 

PETITE ALLEMAGNE : ETATS ALLEMANDS, PRUSSE

 

 

PRUSSE/AUTRICHE   1866  SADOWA

 

1864  DANEMARK

 

1870  GUERRE FRANCO-PRUSSIENNE

 

UNITÉ ALLEMANDE 1871  VERSAILLES

 

IIÈME REICH  1871-1918   OTTO VON BISMARCK

RÉPUBLIQUE DE WEIMAR 1918-1933

IIIÉME REICH 1933-1945

 

IER REICH : SAINT EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE, 1806

 

 

 

 

   Les étapes de l'intégration économique des États germaniques seront les suivantes :

 

 

1816 : la Prusse supprime ses propres douanes intérieures ;

 

 

 

1819-23 : intégration au système prussien de quatre principautés allemandes ;

 

 

 

1828 : entrée de la Hesse, de la Bavière et du Wurtemberg dans une union tarifaire avec la Prusse ;

 

 

association libre-échangiste parallèle (et hostile à l'union dirigée par la Prusse) de 17 États d'Allemagne centrale ;

 

1957 TRAITÉ DE ROME  MC  6

 

1960 AELE

 

 

 

1829 : accord entre les deux groupes sur l'harmonisation des régimes douaniers en 1832 ;

 

 

1834 : création du Zollverein ou union douanière (suppression des droits de douane entre les États concernés et établissement d'un tarif extérieur commun), entre la Prusse, le Wurtemberg, la Bavière, la Saxe et la Hesse ;

 

UNION TARIFAIRE / ZOLLVEREIN (UNION DOUANIÈRE)

 

 

 

 

 

1834-35 : adhésion du Palatinat, de la Thuringe, du Nassau, de Francfort ;

 

1835-54 : entrée du Hanovre, Oldenbourg et Bade dans l'union ;

 

1846 : La Banque de Berlin devient la Banque centrale du Zollverein ; elle sera remplacée par la Reichsbank en 1875, dotée du monopole de l'émission ;

 

1857 : union monétaire avec le thaler prussien comme monnaie commune, remplacé par le mark gagé sur l'or en 1873 (3 marks = 1 thaler) ;

 

Thaler, dollar

 

1866 : suppression du passeport entre les nations allemandes ;

 

 

1867 : la supranationalité est acceptée par les différents États avec le principe de prise des décisions à la majorité et non à l'unanimité des membres. On passe d'une confédération à une fédération des États allemands. Après 1867, le Zollverein sera progressivement élargi au Schleswig-Holstein, au Mecklembourg, à l'Alsace-Lorraine, à Brême et Hambourg ;

 

 

1871 : unification politique de l'Allemagne, réalisée sous l'égide de la Prusse "par le fer et par le sang" selon la formule de Bismarck. Elle est imposée à l'Europe par les victoires contre le Danemark (1864), puis à Sadowa (1866) contre l'Autriche-Hongrie, et surtout en 1870 (Sedan) contre la France qui permet le ralliement patriotique des États encore réticents, comme la Bavière;, et finalement la proclamation de l'Empire allemand dans la galerie des glaces à Versailles.

 

 Celui-ci, le IIème Reich, prend la forme d'une fédération de vingt-cinq États qui gardent leur droit et leurs institutions séparés.

 

 

 

 

   L'intégration économique et les liaisons nouvelles, notamment ferroviaires, favorisent l'extension de la révolution industrielle : la production des diverses industries est multipliée par six en 1850 par rapport au début du siècle (Caron).

 

Deux personnages jouent un rôle important dans cette réussite ; Friedrich List, le théoricien, et Friedrich Von Motz, l'homme politique. Le premier est professeur d'économie politique à l'université de Tübingen dans le Wurtemberg, il milite en faveur de l'intégration économique allemande par l'union douanière et la création de lignes de chemin de fer, et il préconise un protectionnisme éducateur pour le Zollverein dans son ouvrage "Système national d'économie politique" (1841), qui peu de temps après Ricardo, s'oppose aux théories libre-échangistes des classiques anglais.

 

Mais pour lui, le protectionnisme doit être

 limité à l'industrie,

 modéré afin que la concurrence extérieure puisse toujours agir comme aiguillon,

 et enfin temporaire, le temps que les industries nationales devenues mûres soient en mesure d'affronter la compétition externe.

 

 Son argument, celui des industries naissantes, sera par la suite accepté par les libéraux comme la seule exception au principe de liberté du commerce.

 

 

 L'Allemagne en 1871, 1919, 1945, 1991

 

 

2. Le temps du capital (1851-1914)

 

 

2.1. La modernisation de la France dans la deuxième moitié du XIXe siècle

 

 

On a dit qu'en France, l'État avait fait la nation, tandis qu'en Angleterre, en Italie ou en Espagne, c'est la nation qui avait fait l'État.

 

Cela signifie qu'une certaine unité culturelle, linguistique, génétique même, pouvait être observée dans des pays comme l'Espagne ou l'Italie et à plus forte raison l'Angleterre, qui sont encadrés par des frontières physiques. La Grande-Bretagne est un archipel, l'Italie et l'Espagne sont des péninsules isolées par des chaînes montagneuses, et ces facteurs géographiques expliquent les forces centrifuges qui ont fait ces nations.

 

 Rien de tel en France qui est justement le carrefour de l'Europe, le point de rencontre de toutes les influences, nordiques, méditerranéennes, atlantiques, alpines, germaniques... Au Moyen-Âge, elle a bien peu de chances d'exister en tant que nation homogène. Les comtés et duchés voisins sont plus puissants que le roi, et on aurait très bien pu avoir à la place de la France, aux XVIIIe et XIXe siècles, "les États français", comme on avait les États allemands.

 

 C'est donc bien l'ÉTAT français qui a fait la nation, depuis que les rois, les empereurs et les républiques successifs, par une politique impérialiste continue et obstinée, ont réussi à unifier, centraliser et homogénéiser des peuples divers qui se reconnaissent aujourd'hui une même identité culturelle.

 

 

2.1.1. Le second Empire ou la fête impériale

 

   La révolution parisienne de 1848 (22 au 24 février) s'étend partout en Europe continentale, mêlant les revendications démocratiques et celles d'unité ou d'indépendance nationales : c'est "le printemps des peuples". En France, elle apporte la IIème République et le suffrage universel (pour les hommes).

 

La période 1848-1871 comprend, en moins d'un quart de siècle, la révolution, la République, le second Empire, la guerre franco-prussienne et la Commune de Paris.

 

 Mais le règne de Napoléon III est une période d'industrialisation et de croissance, de transformations économiques et sociales intenses, sans doute ce qui pourrait le mieux correspondre à l'idée d'un décollage, comme les chantiers de Haussmann, le rôle nouveau des banques, des sociétés anonymes, de la bourse, des chemins de fer, tout ce qui est encore vivant dans les Rougon-Macquart de Zola, en donnent l'idée.

 

 La modernisation du pays est menée par une politique économique volontariste et dynamique dans un contexte général de croissance.

 

 

Infrastructures et commerce :

 

   Les grands travaux à Paris, menés par Haussmann préfet de la Seine, et dans les autres grandes villes, sont célèbres et continuent aujourd'hui à donner leur ossature aux cités françaises : boulevards et avenues plantés d'arbres, bâtiments (comme l'opéra, le plus grand théâtre du monde, commencé en 1862), mais aussi les gares, les Halles de Victor Baltard, les aqueducs, les égouts, les transports en commun (trains de la Petite et Grande Ceintures) et les parcs publics.

 

 Le baron souhaitait nettoyer la capitale "des miasmes de la vétusté, de l'insalubrité et de la fébrilité politique". Cette volonté d'assainissement social s'explique par les craintes du pouvoir après les journées d'insurrection de 1848 et facilitera la tache des Versaillais en 1871.

 

On aboutit avec ces travaux à la formation de quartiers chics dans l'ouest de la capitale et de quartiers pauvres au nord et à l'est, alors qu'auparavant, au XVIIIe siècle par exemple, la compartimentation sociale se faisait par étage dans chaque immeuble.

 

Cette répartition ouest-est se retrouve partout en Europe occidentale, par exemple à Londres entre les quartiers du West End bourgeois et de l'East End ouvrier comme Whitechapel, tout simplement parce que le vents dominants venant de l'Atlantique soufflent vers l'est et y emportent les fumées, les poussières et les pollutions des usines et des villes.

 

 

   La construction de réseaux de distribution d'eau et du gaz, la mise en valeur de régions agricoles comme les Landes ou la Sologne, la modernisation des ports, le creusement de tunnels comme celui du Mont-Cenis vers l'Italie, sont d'autres aspects de ces investisssements publics qui absorbent jusqu'au tiers de l'épargne nationale.

 

 

   Une véritable révolution commerciale est lancée avec les chaînes d'épiceries comme celles de Félix Potin et les grands magasins : le Bon Marché (1852), le Louvre (1855), le Printemps (1865) et la Samaritaine en 1869.

 

Cf. Au bonheur des dames, de Zola

 

 

 

 

 

Banques, bourse et sociétés :

 

 

 La Banque de France reçoit le privilège de l'émission des billets pour tout le territoire en 1848 et devient une vraie banque centrale en généralisant la pratique du réescompte.

 

 

La réforme monétaire de 1844 en Angleterre avait adopté les règles du currency principle selon lequel le stock d'or de la Banque centrale doit déterminer de façon étroite l'émission de billets.

 

 

 

 

 

Le banking principle qui défendait une émission plus souple en fonction des besoins de l'économie est rejeté. Un lien de proportionnalité sera désormais respecté entre la masse monétaire fiduciaire et le stock métallique de la Banque d'Angleterre.

 

Cependant la monnaie scripturale non concernée par cette contrainte stricte va représenter une part croissante de la masse monétaire totale : 20% en 1811 et 55% déjà en 1844.

 

 

 

 

On a ici une différence importante avec la France où à la même époque la monnaie métallique représente encore 82% de la masse monétaire alors que les billets et la monnaie de compte se partagent le reste;. La Banque de France va retenir le système plus souple du banking principle, adaptant l'émission de billets à l'activité économique, ce qui rendra moins nécessaire l'usage du chèque.

 

 

 

 

   Les premières banques d'affaires apparaissent avec le Crédit Foncier et surtout le Crédit Mobilier des frères Péreire en 1852, puis la Banque de Paris, la Banque des Pays-Bas (fusionnée en 1872 avec la précédente pour devenir Paribas), la Banque de l'Indochine, la Banque de l'Union Parisienne.

 

 Leur capital est réparti entre divers actionnaires à la différence de la Haute Banque traditionnelle et elles se spécialisent dans le long terme et les opérations industrielles, ferroviaires, immobilières, en France et à l'étranger, par le lancement de titres (actions et obligations) dans le public.

 

   La banque de dépôt, ouverte à l'épargne populaire et orientée vers les crédits à court terme sous forme principalement de l'escompte des traites, est lancée avec le Comptoir d'Escompte en 1848, le Crédit Industriel et Commercial en 1859 (qui introduit le chèque pour la première fois en France) et la Société Générale en 1864.

 

 Henri Germain, industriel proche des saint-simoniens et issu d'un milieu de soyeux de Lyon, fonde en 1863 le Crédit Lyonnais, archétype de ce nouveau type de banque. Il devient le théoricien de la spécialisation bancaire adoptée en France à la fin du siècle (après l'Angleterre).

 

Ce principe s'oppose à celui de la banque universelle pratiquée par l'Europe germanique, l'Italie et les États-Unis.

 

En 1860 encore, les trois-quarts des Français n'avaient pas accès aux banques, il s'agit dès lors de multiplier les guichets dans les villes et les villages pour rassembler "les goutelettes du capital", c'est-à-dire l'épargne des employés, des commerçants, des professions libérales, bref de la petite et moyenne bourgeoisie. Le but est "coaguler l'argent enfoui, thésaurisé, inutilisé".

 

 

 

 

   Les grandes entreprises des nouvelles formes d'industrie réclament d'autres types de statut. C'est la société anonyme qui permettra de rassembler les capitaux énormes nécessaires, car les investisseurs peuvent répartir les risques en achetant des parts de valeur limitée, les actions.

 

 

D'autre part ce type de société introduit un élément nouveau dans l'organisation économique : le contrôle des dirigeants par l'ensemble des actionnaires qui peuvent à tout moment les sanctionner en vendant leurs titres.

 

 

 En Angleterre, le Bubble Act de 1720 qui limitait la création des SA est aboli en 1825 et la responsabilité limitée à l'apport est autorisée en 1856 par l'English Company Act.

 

En France, dans le code de commerce de 1807,

 

quatre statuts de société étaient prévus :

 

la société en nom collectif

et la société en commandite simple (sociétés de personnes) ;

 la société en commandite par actions

 

et la société anonyme (société de capitaux).

 

Celle-ci est soumise à autorisation préalable du Conseil d'État qui les délivre au compte gouttes, par crainte des faillites, et sa création passe ensuite par une loi votée après de longs délais par le Parlement. Les sociétés anonymes peuvent en outre être dissoutes par un simple décret, menace qui limite évidemment leur nombre.

 

Le second Empire va donner des garanties aux actionnaires et libérer en deux temps la création des sociétés anonymes (réformes de 1863 et 1867 : la loi de 1863 permet la création libre des sociétés par actions avec un capital maximum de 20 millions de F. Ce seuil est aboli par la loi de 1867 qui libère toute création de société anonyme de l'autorisation de l'État.

 

 

Les actions et les obligations deviennent dès lors le moyen de financement essentiel des entreprises : "le principal véhicule du système capitaliste en plein développement".

 

 

Les bourses de valeur se développent comme marché principal de ces titres.

 

 

 

 

 

 

 

 

La Bourse de Paris a été créée en 1724, 30 sociétés y sont cotées en 1830, 90 en 1850, 300 en 1870 et mille en 1900.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Prospérité agricole :

 

La modernisation démarrée sous les monarchies se poursuit : mécanisation, engrais, recul de la jachère, élevage, diversification des cultures et spécialisation des régions.

 

 

 La pratique encore générale de l'autoconsommation tend à reculer au profit de l'ouverture sur le marché.

 

 

 La croissance reste forte et celle du produit végétal est la plus forte du siècle avec un taux moyen annuel de 1,09% pour la période 1855-1864

.

 

 

 Le blé et la vigne constituent les deux cultures principales du pays.

 

 Les rendements ont augmenté et les vins viennent en deuxième position après les textiles dans les recettes d'exportation du pays.

 

 

Mais le phylloxéra, un puceron venu d'Amérique qui détruit la plante elle-même, apparaît en 1863 dans le Midi et en 1867 dans le sud-ouest, et ne pourra être arrêté.

 

 

 

 

   Les modes d'exploitation agricoles sont : le faire-valoir direct (le propriétaire exploite son domaine), principalement à l'est et au sud-est de la France, ainsi que dans les régions de montagne ;

 

 

 le fermage, au nord-ouest et à l'ouest (l'exploitant paye un loyer, la rente, en espèce au propriétaire, suivant un bail) ;

 

 

 

 le métayage, au sud-ouest et dans le centre (partage de la récolte entre le cultivateur et le propriétaire).

 

 

 Le premier système est le plus répandu avec 60% des terres et 80% des exploitants, comme le montrera le recensement de 1882. Les deux autres se partagent les 40% restants avec une prédominance pour le fermage, deux fois plus important et en progression sur le métayage.

 

 

 

 

 

Chemins de fer et industries :

 

   On assiste à l'expansion rapide des constructions de voies ferrées (3500 km en 1851 et 15 500 en 1870) : le train transportait 10,5% du trafic de marchandises en 1851 contre 53% pour la route et 36,5% pour les voies d'eau ; en 1869 les proportions sont inversées avec 53,5%, 27,5% et 19%. Il en représentera les deux tiers dès les années 1880.

 

Cette poussée favorise le développement des industries lourdes. La fonte au coke dépasse celle au charbon de bois et atteint 90% du total produit vers 1865.

 

 Avec l'adoption des procédés Bessemer et Martin, la production d'acier augmente rapidement, de même que la production de charbon qui passe de 5 à 20 Mt pendant le second Empire.

 

La production de rails est multipliée par dix (27 000 t en 1851 à 270 000 t en 1869).

 

De gigantesques entreprises intégrées de la mine à la sidérurgie et à la mécanique, comme Schneider au Creusot et Wendel à Hayange en Lorraine emploient des milliers d'ouvriers, des machines de toute sorte et des hauts-fourneaux par dizaines.

 

Elles produisent plus de 100 000 tonnes de fer et de fonte par an, ainsi que des canons et des centaines de locomotives.

.

 

 

   L'industrie se diversifie avec le développement des machines-outils pour les divers secteurs industriels et l'agriculture, des produits chimiques liés aux engrais, explosifs, colorants, et des métaux non ferreux comme l'aluminium, le cuivre, le plomb ou le zinc, qui commencent à être utilisés à côté du fer et de l'acier.

 

 

Le traité Cobden-Chevalier et le libre-échange en Europe

 

   Le traité du 23 janvier 1860 a une importance considérable par son rôle de catalyseur, plus encore que l'abolition des Corn Laws en 1846. Il sera en effet suivi par des dizaines du même genre (entre la France et d'autres pays européens : la Belgique, la Prusse, la Hollande, l'Autriche, l'Espagne, les États italiens, le Danemark, la Norvège, la Suède, etc., et aussi entre ces divers pays entre eux), traités qui vont ouvrir une période de libre-échange en Europe jusqu'aux années 1890.

 

 

Clause MFN  (MOST FAVOURED NATION)

 

 L'application de la clause de la nation la plus favorisée, qui entraîne l'alignement sur les droits les plus faibles, est le moyen d'un désarmement tarifaire général.

 

A -> B

 

A  - 10 %  /  C,  B (automatiquement)

 

 

2 %   Y   ALIGNEMENT DES TARIFS SUR LE TARIF LES PLUS FAIBLE

 

 

 

C'est aussi l'occasion de mettre fin au vieux système de l'exclusif qui interdisait depuis Henri IV aux colonies d'échanger en dehors de la métropole : la liberté du commerce leur est accordée en 1861.

 

 

 

L'Europe est partagée avant 1860 entre des puissances libre-échangistes (l'Angleterre et des petits pays dépendants du commerce extérieur : Hollande, Belgique, Suisse, Danemark, Norvège, Portugal, Piémont, villes libres allemandes)

 

 

et des puissances protectionnistes comme la France, l'Autriche-Hongrie, le Zollverein, l'Espagne, la Russie) ; la France du traité va jouer un rôle clé en faisant basculer toute l'Europe, sauf la Russie, dans le camp du libre-échange.

 

 

 

   Cette réduction des tarifs est favorisée par une situation d'excédent commercial structurel depuis 1850.

 

On a cité également un facteur politique : la recherche du soutien britannique pour la campagne de Napoléon III en Italie contre l'Autriche.

 

 

 

 

Il y a enfin l'accès au pouvoir de libre-échangistes saint-simoniens, comme l'Empereur lui-même (Un Saint-Simon à cheval !, selon la formule de Sainte-Beuve).

 

SAINT SIMON, SOCIALISTE ET LIBRE-ÉCHANGISTE, INDUSTRIALISTE

 

 

 

De même qu'en Grande-Bretagne les écrits de Ricardo ont influencé Peel, de même en France les défenseurs infatigables du libre-échange, au premier rang desquels figure l'inimitable Frédéric Bastiat

 

SOPHISMES ECONOMIQUES

 

qui a su le premier introduire l'humour dans la science lugubre et l'utiliser comme une arme dévastatrice à l'encontre des opposants au libéralisme

 

(voir la pétition des fabricants de chandelle,

 

le cas du tunnel

 

 

 

ou le chemin de fer négatif)

 

PARIS-BORDEAUX  18 HEURES,  CINQ JOURS

 

COMMUNES, EFFETS D'ENTRAINEMENTS

 

 

 

 

, ont influencé l'opinion et les dirigeants.

 

 

 

 

Bastiat crée en 1846 une Association pour la liberté des échanges à l'instar de la ligue des manchestériens.

 

Michel Chevalier un professeur d'économie au Collège de France, saint-simonien et libre-échangiste, ami de Richard Cobden, négocie le traité pour la France.

 

   L'accord ne passe pas devant le Sénat et on a parlé d'un "second coup d'État" de Napoléon III.

 

 Les droits de douane sont réduits à 15% en moyenne et les deux pays s'accordent la clause de la nation la plus favorisée.

 

   La baisse des droits de douane se heurte en France aux intérêts protectionnistes (fer, charbon, textiles, agriculture)

 

qu'il faudra calmer par des prêts d'État avantageux (9MF à la métallurgie et 16M au textile).

 

 

 

 

 

Mais certains producteurs sont aussi en faveur du libre-échange : les viticulteurs de Bordeaux, les soyeux de Lyon, les agriculteurs du nord-ouest et les industriels parisiens du luxe ; les compagnies de chemin de fer également qui ont besoin de produits sidérurgiques bon marché et abondants.

 

 

   Tout comme en 1786,   EDEN/RAYNEVAL

 

 

les conséquences du traité sont difficiles à évaluer tant les interactions sont multiples.

 

 

 

Les entreprises se modernisent pour affronter la concurrence et par exemple la fonte au coke se généralise, le procédé Bessemer est adopté et les textiles se mécanisent.

 

 

Elles bénéficient des importations de matières premières bon marché comme le fer et le charbon (alors qu'elles étaient handicapées jusque là par les coûts élevés des produits français), ce qui les rend plus compétitives à l'exportation.

 

 

 

 

 Le commerce extérieur connaît une croissance rapide, deux fois plus élevée que celle du Revenu, et les exportations passent de 6,2% du Produit national en 1846 à 20,6% en 1875.

 

 

 

RÉALLOCATION DES ACTIVITÉS

 

 Les taux de croissance industrielle ont été de 1,94% par an avant l'Empire, 1,52% pendant et 1,63% après, sous la troisième République,

 

 

 alors que le taux de croissance du PNB y a été plus élevé (2,51% contre 1,43% sous Louis-Philippe) comme le confirment les chiffres de Toutain (1,85% contre 1,45%, tableau 4).

 

 

L'ouverture extérieure de 1860 aurait donc ralenti la croissance industrielle en spécialisant davantage le pays dans ses avantages comparatifs agricoles.

 

 L'effet du libre-échange serait donc globalement positif puisque la croissance globale a été plus forte, avec une progression plus rapide des secteurs non industriels.

 

 

1860-1890  PARENTHÈSE LIBRE-ECHANGISTE

 

 

   Le retour au protectionnisme sous la IIIème République s'explique en partie par la défaite de 1870 et la nécessité de trouver des recettes fiscales pour payer l'indemnité de guerre imposée par la Prusse.

 

 

Le mouvement sera assez lent puisqu'il faudra attendre les tarifs Méline de 1892 pour voir les droits revenir aux niveaux d'avant le traité. La protection restera modérée, et le commerce international poursuivra sa croissance jusqu'en 1914.

 

 

 

 

2.1.2. La grande dépression : 1873-1896

 

   La grande dépression de la fin du XIXe siècle se traduit par une succession de crises et de phases de reprise selon un trend général de croissance faible.

 

La crise commence en 1873 par le krach boursier à Vienne et la faillite d'une grande banque, le Kredit Anstalt, suivis par l'effondrement des bourses de Berlin et New York, entraînant paniques bancaires, chute de groupes financiers et faillite d'entreprises de chemins de fer

 

   Les éléments qui, dans l'ordre chronologique, permettent de caractériser une crise financière sont les suivants :

 

 

 un changement des attentes,

 

 la crainte de l'insolvabilité des banques,

 

 

 des tentatives de retraits d'argent et de conversion des actifs,

 

 

 

 la menace sur la solvabilité des institutions financières,

 

 

 

 la ruée vers les guichets et la baisse de l'offre de monnaie.

 

 

 Sans prêteur de dernier ressort bien établi, comme c'était le cas au XIXe et jusqu'à la crise de 1929, c'est-à-dire sans un organisme qui puisse avancer toutes les liquidités voulues, les dominos continuent à tomber, la crise s'étend et se transforme en crise économique durable.

 

 

   L'année 1882 est marquée par un krach boursier en France, à la suite d'une période d'euphorie des cours et de spéculation effrénée, qui provoque la faillite de deux banques lyonnaises engagées dans des opérations risquées sur les titres : la Banque de Lyon et de la Loire, et surtout l'Union Générale

 

 Il se poursuit par une longue récession qui touche particulièrement l'économie française. La crise mondiale se poursuit avec

 

la panique des chemins de fer aux États-Unis en 1884,

 

 la banqueroute de la Société du canal de Panama en 1888,

 

ISTHME AMERICAIN

FERDINAND DE LESSEPS, CANAL DE SUEZ

1869

 

1903-1914, 1999

 

 

 

 

 

 la faillite de la banque Baring en 1890 à Londres, engagée imprudemment en Argentine et sauvée de la banqueroute par une intervention publique,

 

 et de nouvelles faillites bancaires (plus de 400) en Amérique en 1893.

 

 

 

 

   La dépression gagne tous les pays par les liens des échanges et les mouvements de capitaux.

 

Elle se double d'une crise agricole dont les deux aspects les plus connus en Europe concernent la vigne et le blé.

 

 

Le phylloxéra est une véritable catastrophe nationale en France et en Espagne. Il culmine à la fin des années 1870 et atteint alors le quart des vignes françaises. La production s'effondre et la vigne française est amputée d'un tiers en 1892, un tiers qu'elle ne regagnera jamais. Les revenus des viticulteurs sont réduits de moitié entre 1875 et 1889.

 

 C'est d'Amérique que le mal est venu, et c'est aussi de là que viendra la solution, avec l'arrachage des cépages français à la fin du siècle et leur remplacement par des plants résistants, à rendement plus élevé, importés des États-Unis (et greffés sur les variétés locales pour en préserver l'originalité).

 

 

   Les difficultés des producteurs de blé s'expliquent par l'accroissement considérable des ventes de céréales américaines et russes grâce aux progrès des transports transocéaniques et transcontinentaux.

 

 

Le libre-échange met à mal les producteurs français qui réclament à corps et cri le retour à la protection : la France va importer jusqu'à 19% de sa production de blé en 1888-1892.

 

 

 

 

   Mais la crise agricole est liée à la crise industrielle par les effets du commerce international. Les États-Unis en effet — suivant en cela une tradition de protectionnisme éducateur

 

 

 

 depuis Alexander Hamilton en 1795,

 

REPORT ON MANUFACTURES

 

 

INDUSTRIE NATIONALE

 

 

 

 

 associée à un isolationnisme politique avec la doctrine Monroe ; en 1823

 

DOMINATION SUR L'AMERIQUE LATINE

 

 

 — s'enferment derrière de hautes barrières douanières

 

 

GUERRE DE SÉCESSION  1861-1865

NORD  PROTECTIONNISTE

SUD LIBRE-ÉCHANGISTE (COTON)

 

 

 

 

(la défaite du Sud libre-échangiste en 1865 ayant eu pour effet de renforcer encore cette tendance).

 

 

 

 

 

 

 

 Ils ne compensent pas leurs exportations accrues par une augmentation parallèle des importations de produits manufacturés venant d'Europe. Un déficit commercial s'installe donc au détriment de cette dernière, qui exerce un effet déflationniste général et explique la durée de la dépression.

 

 

 

 

 

Les exportations de blé et de farine des États-Unis, destinées principalement aux pays européens, passent ainsi de 8M$ en 1850 à 68M$ en 1870 et 226M$ en 1880 !

 

 

 

 

 

 

   Ce déséquilibre ne peut que provoquer un retour quasi général au protectionnisme (seule l'Angleterre, la Hollande, la Suisse et le Danemark restent ouverts), d'abord en Allemagne (1879), puis en France : en 1881 et surtout en janvier 1892 avec les tarifs Méline.

 

 

   Il s'agit surtout de protéger les intérêts agricoles : en Prusse, les Junkers (grands propriétaires terriens aristocrates), en France, les céréaliers de la Beauce, les viticulteurs du Midi et les nombreux petits paysans d'un pays encore essentiellement rural.

 

 

 

 

 

 

 

 

   Cependant, les mouvements de capitaux restent libres et la protection renforcée porte sur les seuls droits de douane (il n'y a ni prohibitions, ni contingentements). Ces droits ne dépassent pas 20% en moyenne (voir tableau 2).

 

 

Les échanges internationaux vont continuer à progresser dans cette phase néomercantiliste.

 

 

 

 

On estime qu'ils ne représentaient que 3% du produit mondial en 1800, mais déjà 33% à la veille de la Première Guerre mondiale.

 

 Entre 1850 et 1913 leur volume a été multiplié par dix et, après 1880, les taux d'ouverture des principaux pays européens, exception faite de l'Allemagne, ont continué à s'élever (tableau 3).

 

Tableau 2

Droits de douane moyens en % sur les produits manufacturés (1914)

 

GB

NL

CH, B

All.

DK

A-H, I

F, SW

Russie

Esp.

 

0

4

9

13

14

18

20

38

41

Source : Pollard (1981)

 

Tableau 3 : Taux d'ouverture (X/Y)

 

GB

All.

DK

Italie

France

Suède

Norv.

Eur.

1880

17

16,9

20,7

10,2

12,6

15,8

14,6

11,7

1910

17,5

14,6

26,7

11

15,3

17,3

18,3

13,2

Source : Pollard (1981)

 

 

 

 

 

   Sur l'ensemble de la période (1873-96), les prix sont orientés à la baisse, mais la croissance se poursuit, quoiqu'à un rythme plus faible.

 

 Il ne s'agit donc pas d'un effondrement comme lors de la crise des années 1930, mais d'un ralentissement, plus proche en cela de la situation actuelle depuis 1973.

 

1873-1896,     1973-1996

CYCLES LONGS

 

 Le chômage s'accroît, mais les salaires réels progressent (plus 35% en France entre 1873 et 1896, contre plus 10% entre 1850 et 1873).

 

 

 La baisse des prix s'accompagne d'une plus grande rigidité des salaires nominaux grâce au renforcement des mouvements ouvriers, ce qui se traduit par une augmentation du pouvoir d'achat.

 

   L'augmentation des salaires réels se traduit par une réduction des profits et des taux de profit, incitant les entreprises à rechercher des gains de productivité en mécanisant davantage les processus productifs.

 

 La crise va précipiter l'évolution en cours des structures industrielles, caractérisée par le recul des industries familiales et dispersées.

 

 Déjà le chemin de fer avait accru la spécialisation régionale, et le libre-échange des années 1860 poussé à des rapprochements industriels ; les difficultés de la période 1873-1896 favorisent la concentration des firmes.

 

 

 

   La reprise sera liée vers 1896 aux innovations de la fin du siècle et là encore à de nouvelles découvertes d'or dans les années 1890-1900 en Afrique du Sud, au Canada et en Alaska (la Ruée vers l'or), qui favorisent une remontée des prix, après trois décennies de déflation.

 

 

   Ainsi, a contrario, trois facteurs de la grande dépression s'ajoutent aux effets déflationnistes du déficit commercial avec l'Amérique, à une époque libérale où une relance publique de type keynésien est inconcevable :

 

— Une pénurie d'or entre les deux grandes périodes de découvertes de 1849 et 1900 ; la plupart des pays adoptent l'étalon-or dans cette période et renoncent au bimétallisme ou à l'étalon-argent, ce qui aggrave la déflation. Milton Friedman a souligné qu'un système de bimétallisme or-argent aurait pu éviter la déflation de 1873-1896.

 

 

— Une langueur des investissements par l'absence de progrès technologiques marquants (épuisement des chemins de fer et de la production d'acier ; "attente" des innovations de la deuxième révolution industrielle) et arrêt des grands travaux caractéristiques du second Empire.

 

 

—  Enfin l'anémie de la consommation interne, malgré l'amélioration des salaires réels et l'absence de débouchés suffisants outre-mer.

 

 

   Pour certains historiens de l'économie, il s'agit d'une crise de passage à un nouveau mode de régulation du système capitaliste (Boyer, 1979 ; Beaud, 1990) : d'un capitalisme concurrentiel caractéristique du XIXe, avec une accumulation extensive (production limitée, gains de productivité lents et salaires et prix flexibles),

 

vers un capitalisme qui devient monopoliste au XXe siècle, caractérisé par une accumulation intensive : production de masse, gains de productivité rapides, élargissement de la consommation avec la montée de la classe moyenne et rigidité des salaires et des prix à la baisse.

 

 

2.1.3. La Belle Époque (1896-1914) en France

 

   La troisième République au tournant du siècle présente des aspects économiques contradictoires, à la fois négatifs et positifs.

 

Parmi les premiers, on peut citer l'esprit de repliement protectionniste, le conservatisme rural et l'importance écrasante de l'agriculture (40% de la population active vers 1913), la faible salarisation (46% de la population active en 1911 contre 90% en Grande-Bretagne), la sous-industrialisation et le fait que les entreprises restent de plus petite taille en France et plus dispersées qu'en Angleterre ou en Allemagne, et enfin et surtout l'effondrement de la natalité :

 

Le pays est handicapé par le vieillissement de sa population, conséquence d'une natalité en chute libre qui rejoint la mortalité (33‰ en 1820 et 22‰ en 1895 pour la première, contre 25‰ et 22‰ pour la seconde). Le taux d'accroissement naturel n'a jamais été aussi bas (1‰ entre 1886 et 1890, 1,3‰ entre 1896 et 1900, contre 6,6‰ en 1816-1820).

 

Il fait même place à un recul entre 1891 et 1895, un événement unique en Europe : la baisse de la population en chiffres absolus, due à des excédents des décès sur les naissances, en 1890, 1891, 1892 et 1895, puis en 1907 et 1911.

 

Avec 42% de moins de vingt ans en 1826, soit une population jeune, la France avait commencé à vieillir au cours du XIXe siècle : 36% de jeunes en 1851, 35% en 1886 et 34% en 1911, tandis que les plus de 60 ans passent de 7% de la population à 13% du début à la fin du siècle.

 

 

 

 Cette évolution explique le recours à l'immigration (notamment de travailleurs italiens, espagnols, polonais et belges),

 

mais aussi, et de façon plus négative, des phénomènes de repli comme le retour au protectionnisme, la peur de la concurrence avec déjà la défense du petit commerce, l'attachement à la terre, aux traditions paysannes et à un monde rural figé, l'attitude frileuse enfin des épargnants qui préfèrent les placements à l'étranger, soit-disant sûrs, à des prêts aux industries nationales.

 

 

 

 

   Parmi les facteurs positifs : l'abondance monétaire, avec les découvertes d'or qui provoquent la hausse des prix et des profits,

 

 la stabilité politique enfin acquise après un siècle de convulsions,

 

 et surtout le dynamisme industriel retrouvé grâce au renouveau technologique de la deuxième révolution industrielle.

 

La France innove et se trouve à la pointe des progrès dans les secteurs neufs comme l'automobile, l'aviation, l'électricité, les métaux non ferreux et la chimie.

 

   La Belle Époque correspond à une sorte d'âge d'or européen avant les tempêtes de la première moitié du XXe siècle, d'"apogée du capitalisme" selon Asselain, depuis que les pays industrialisés ont surmonté la dépression de 1873. La croissance économique reprend à un rythme plus rapide, elle ne sera interrompue que par les courtes crises de 1900, 1910 et 1913.

 

 

 

 

 

La croissance en France (taux moyens annuels) :

 

Restauration : 2,3 %

 

Monarchie de Juillet : 1,4 %

 

Second Empire : 1,85 %

 

IIIème République (jusqu'en 1914) : 1,45 %

 

Ensemble du XIXe siècle : 1,53 %

 

 

   Cette croissance est cependant plus rapide encore à l'étranger : aux États-Unis, en Russie et surtout en Allemagne qui devient la première puissance économique européenne avant la Grande-Bretagne.

 

 L'accroissement du revenu par tête est satisfaisant en France et les Français gardent un niveau de vie élevé en Europe. Mais cela vient en partie de la stagnation démographique, ce qui peut difficilement être considéré comme un élément favorable.

 

 

 

2.2. Le grand essor de l'Allemagne

 

   Le IIème Reich (1871-1918) — une fédération de 25 États — correspond à la plus grande extension territoriale de l'Allemagne, qui va à l'époque de la Lorraine à la Lituanie, de Metz à Königsberg, en recouvrant une partie de la Pologne actuelle.

 

 La décentralisation est extrême et seules les affaires étrangères, la défense et la politique économique et sociale sont confiées à Berlin. Les impôts restent une prérogative des États et les ressources de la fédération ne proviennent que des droits de douane communs.

 

Après deux défaites dans les guerres mondiales du XXe siècle, l'Allemagne réunifiée de 1990 ne représente plus que 65% de l'empire de Bismarck et Guillaume II

 

 La population du Reich passe de 42M en 1871 à 70M en 1913 (dont 60% en Prusse) malgré une émigration massive vers les Amériques, grâce au dynamisme démographique (près de 1,5% de croissance moyenne annuelle en 1890-1914) qui contraste avec l'arrêt observé en France.

 

 

 

   Dans le domaine économique, l'Allemagne prend en 1914 la place qui est encore la sienne aujourd'hui de première puissance du continent grâce à un taux d'investissement qui représente plus de 20% du PNB (contre moins de 10% en GB) et à une très forte croissance malgré la dépression des années 1873-96. Elle dépasse 2% par an en moyenne depuis les années 1840, supérieure à celle de l'Angleterre ou de la France.

 

 

   Le taux de croissance de la production manufacturée tourne autour de 4% par an depuis 1850 malgré les vicissitudes des crises. Le type de développement industriel est celui de la substitution d'importations, favorisée par la protection mise en place dans le cadre du Zollverein et fortement appuyée par l'État qui réalise le quart des investissements.

 

 Le pays commence alors sa spécialisation dans les industries lourdes (acier, armement, mécanique, charbon, chimie), à la différence de la France plutôt orientée vers les biens de consommation.

 

Tableau 5

Production industrielle mondiale, %

 

 

All.

GB

F

Russie

USA

Japon

 

1870

13

32

10

 4

23

-

 

1913

16

14

 6

 6

38

1

 

1938

11

 9

 5

19

32

4

 

 

 

   En 1914, l'Allemagne produit plus d'un tiers du charbon européen, un cinquième des textiles, près de la moitié de l'acier et des machines, et 41% de la production chimique ;

 

 

en tout un tiers de la production industrielle du continent et 16% du total mondial (tableau 5).

 

 

 

 

 

 Elle a, grâce à la découverte de l'aniline, un quasi monopole des colorants utilisés dans le monde puisque 80% en dérivent.

 

Dans les industries électriques, avec des firmes comme Siemens ou AEG (l'Allgemeine Elektrizität Gesellschaft;), l'Allemagne est le leader européen.

 

 

   Car le dynamisme industriel s'accompagne d'une expansion commerciale : Dès 1890, elle arrive en deuxième position avec 11% des échanges internationaux, contre 19% pour l'Angleterre et 10% pour les États-Unis ou la France.

 

En 1913, ces parts seront de 14% (GB), 12% (All.), 10% (USA) et 8% (F).

 

 Hambourg devient le deuxième port d'Europe continentale et le quatrième dans le monde (après Londres, New York et Anvers).

 

La flotte marchande passe au second rang, au niveau des États-Unis : 5 M de tonneaux au total en 1913 pour les deux pays, contre 18 pour l'Angleterre et 2 en France.

 

 

 Le Kaiser lance sa formule fameuse : "L'avenir de l'Allemagne est sur l'eau" en même temps qu'une flotte de guerre puissante, source de conflit avec l'Angleterre qui débouchera sur la guerre.

 

 

 

   Le mélange de protectionnisme,

 

 de cartellisation des firmes,

 

 de coopération des industries avec l'État à travers de nombreuses associations patronales,

 

 

le rôle des banques universelles,

 

 

 tout cela constitue le modèle du capitalisme allemand de cette époque. II s'agit d'un capitalisme "organisé", bien différent du laissez-faire anglo-saxon et du dirigisme français.

 

 

Surtout l'Allemagne est le pays le plus représentatif de ce que North a appelé la deuxième révolution économique, c'est-à-dire le mélange de la science et de l'entreprise, dans des laboratoires de recherche qui sont à l'origine des innovations :

 

"la première, elle réalise la conception moderne de la grande industrie : l'usine liée à la science des « docteurs-ingénieurs », que ses écoles techniques déversent sur le monde".

 

 

 

 

 

Le rôle des banques universelles dans l'industrialisation de l'Allemagne

 

   Selon Gerschenkron (1962) les Universalen Banken ont permis à l'Allemagne d'accélérer son industrialisation et passer de latecomer en 1871 à première puissance industrielle du continent en 1914. Ce point de vue est repris récemment par Chandler (1990) : "(elles) ont été l'instrument qui a rendu possible l'accumulation du capital sur une échelle assez vaste pour financer des infrastructures continentales de communication et de transport... et fournir le capital initial pour les nouvelles activités industrielles et les guider pendant leurs années de prime croissance". Non seulement les banques germaniques s'engagent dans tous les types d'activité bancaire sans connaître de spécialisation, transformant ainsi l'épargne à court terme en prêts à long terme pour l'investissement, mais elles participent à tous les conseils de surveillance et conseils d'administration des grandes entreprises, jouant ainsi un rôle essentiel dans l'orientation des stratégies économiques et réalisant "une osmose entre le système bancaire et le système industriel" (Philip). Disposant directement de l'information, elles sont bien placées pour effectuer une répartition optimale des ressources financières en choisissant les firmes les plus dynamiques et les mieux gérées. Elles multiplient les filiales à l'étranger et aident le développement du commerce extérieur du pays et ses exportations de capitaux. Selon The Cambridge economic history of Europe (Postan et alii, t. VII, 1978), "la combinaison des sociétés anonymes et des banques d'investissement a créé un puissant mécanisme pour encourager l'épargne, qui autrement n'aurait pas été attirée par les investissements industriels, vers les industries manquant de capitaux". De plus, les banques restent liées aux firmes pendant toute leur évolution : "On avait coutume de dire qu'une banque allemande accompagnait une entreprise industrielle depuis le berceau jusqu'à la tombe, de l'établissement jusqu'à la liquidation, à travers toutes les vicissitudes de son existence" (Gerschenkron, 1962).

   La banque universelle présente un plus grand dynamisme que la banque spécialisée à la française, mais aussi plus de risques car des dépôts à vue sont utilisés pour créer des immobilisations et financer des investissements à long terme. Les faillites furent plus nombreuses en Europe centrale qu'en France, mais dans l'ensemble ces banques réussirent grâce à leur puisssance : "La banque mixte était en principe un monstre inviable ; il s'en écroula beaucoup quand la crise succéda à la vague de prospérité. Mais dans la grande majorité, ces maisons prospérèrent, en grande partie du fait que cette combinaison des fonctions de dépôt et d'investissement pouvait être aussi bien la source d'une puissance formidable. Car elle décuplait la capacité d'accumuler des ressources, ce qui se traduisait en conséquence par un soutien plus vigoureux aux protégés industriels et commerciaux de la banque, leur permettant de grandir sans effort en cas de prospérité, et de se maintenir en cas d'adversité" (Landes, 1975).

   La banque universelle apparaît dans les années 1830 à Cologne et Francfort sous la forme de banques familiales privées comme Rothschild, Warburg ou Mendelssohn. Elles se transformeront en sociétés anonymes bancaires dans les années 1870 sous le nom de Kreditbanken, ou Grobbanken pour les plus grandes, et progresseront par absorption régulière de banques régionales. À partir des années 1880, suivant l'initiative de la Deutsche Bank, la plus importante, elles ouvrent des guichets un peu partout dans le pays pour collecter l'épargne populaire, qui était jusque là surtout placée auprès des Caisses d'Épargne. Les principales sont, outre la Deutsche Bank, la Darmstädter Bank, la Dresdner Bank, la Diskontogesellschaft (Société d'escompte), la Commerzbank et la Berliner Handelsgesellschaft (voir Kindleberger, 1990). Les 4 premières sont connues comme "les 4 D" (dont trois sont encore en activité aujourd'hui) : elles représentent 40% des dépôts des banques universelles en 1914 et 73% du capital. Les tableaux ci-après donnent le classement de ces banques et la part des actifs détenus par les différents types d'institutions de crédit. La croissance de la fin du siècle et l'importance croissante des Kreditbanken y apparaissent.

 

Les 4 D, capital en millions de marks

            Deutsche Bank            Diskontogesellschaft     Dresdner Bank            Darmstädter Bank

1890                  75                               60                               48                               60

1900                150                             115                             110                             105     

Source : Ambrosi, Tacel, 1963

 

                        Répartition des actifs des institutions financières en Allemagne

                                                           1860                1880                1900                1913

            Banque centrale (Reichsbank)  22,4%             11,6                   6,3                   4,4

            Banques universelles                44,5                 28,5                 25,8                 28,6

                   Kreditbanken                     9,2                 10                    17,2                 24,2

                   Banques privées               35,3                 18,5                   8,6                   4,4

            Caisses d'Épargne (Sparkassen)          12                    20,6                 23,3                 22,9

            Banques hypothécaires            16,9                 26,7                 28,5                 22,8

            Coopératives de crédit               0,2                   4,4                   4,1                   6,8

            Sociétés d'assurance                  1,6                   5,9                   8                      8,5

            Assurances sociales                   -                      -                      2,1                   2,7

            Banques spécialisées et div.       2,4                   2,3                   1,7                   1,5

                  Source : R.W. Goldsmith, Financial Structure and Development, New Haven, 1969

 

   Les banques universelles jouent d'abord un rôle important, à côté des États, dans les investissements ferroviaires des années 1840-1870, spécialement en Prusse et en Saxe. Quant aux activités de transformation, le nombre de sociétés anonymes y explose à la fin du siècle (37 en 1850, 144 en 1860, 2143 en 1886 et 5486 en 1913) et elles représentent environ 20% du capital industriel total du pays en 1910 (Edwards et Olgivie, 1996). Leur source de financement externe réside essentiellement dans le lancement de titres (actions et obligations) qui passent par les banques universelles, et à court terme dans les avances en compte courant qui sont également le fait de ces banques.

   D'autre part, elles auraient joué un rôle majeur dans la concentration de l'industrie : "la dynamique du mouvement de cartellisation de l'industrie allemande ne peut pas être comprise autrement que comme le résultat naturel de la fusion des banques. Ce fut la concentration dans leur secteur qui leur a permis de contrôler les entreprises en situation de concurrence. Les banques refusèrent de tolérer des luttes fratricides entre leurs enfants" (Gerschenkron, ibid.). Asselain (1991) affirme pareillement que "les banques ont largement appuyé le développement de la concentration industrielle sous toutes ses formes (cartels, intégration verticale, fusions, prises de participation), ce qui comportait pour elles le double avantage de réduire le risque et de faciliter leur contrôle".

   Tilly a critiqué la position de Gerschenkron en 1966 en minimisant le rôle des banques et en insistant sur le rôle du marché décentralisé dans l'industrialisation de l'Allemagne. Un autre débat a eu lieu entre cliométriciens dans les années 70 sur la question de savoir si les banques universelles n'avaient pas freiné la croissance en réservant les capitaux à l'industrie lourde et, par un processus d'éviction et de hausse des taux d'intérêt, gêné le développement des industries légères plus dynamiques (voir Kindleberger pour un résumé et les références).

   Enfin, une analyse récente de Edwards et Olgivie (1996) minimise également le rôle des banques universelles. Ces auteurs insistent sur les aspects suivants :

- le financement interne des firmes (par les profits) a joué le rôle essentiel dans l'industrialisation et non le recours aux emprunts externes ;

- les entreprises ont décidé les fusions de façon autonome sans directive des banques ;

- les Kreditbanken ne représentent que la moitié des dépôts des Caisses d'Épargne et leur importance a donc été surestimée :

- les États régionaux, et non les banques, ont pris en charge la plus grosse partie des investissements ferroviaires ;

- la plupart des firmes industrielles (80% des actifs) n'étaient pas des sociétés anonymes et elles n'avaient pas accès au crédit des banques universelles et donc, en fin de compte, l'essentiel du financement à ces entreprises a été apporté par d'autres institutions de crédit que ces banques...

   Un des piliers les mieux établis de l'histoire économique du XIXe siècle, la thèse de Gerschenkron sur le rôle des banques universelles dans l'industrialisation de l'Allemagne, est donc actuellement en butte à une révision dont on peut se demander si elle est bien justifiée. En effet, la nécessité de remettre en cause les théories les plus solides fait partie du jeu universitaire, car un article qui ne ferait que les soutenir aurait toutes les chances de passer inaperçu. Une révision au contraire déclenche à coup sûr une polémique qui garantit le succès du papier de recherche.

 

 

 

 

   Norman Davies fait un résumé saisissant de la situation de l'Allemagne avant la Première Guerre mondiale, qui nous permet de conclure :

 

 "elle apparaît alors comme un État modèle : riche, moderne, scientifique, puissant, uni...

`

Mais cette façade cache une faiblesse : on l'a comparée à une superbe machine qui aurait quelque part un boulon desserré — une machine qui commencerait à chauffer, à trépider, et qui dans son explosion finale finirait par détruire toute l'usine.

 

Sous Guillaume II (1888-1918), dont le bras atrophié était vu comme le symbole des défauts du pays, elle prit une attitude arrogante et brutale...

 

 Le Kaiser et sa cour ne réalisèrent pas qu'une éventuelle domination politique et économique de l'Allemagne sur l'Europe dépendait du maintien de la paix."

 

 

 

 

 

Conclusion

 

   À la veille de la Première Guerre mondiale, les pays européens sont à l'apogée de leur puissance économique dans le monde, même s'ils sont tous déjà, pris isolément, dépassés par les États-Unis et pour certains la Russie. Les deux conflits mondiaux qui se succèdent en moins de trois décennies vont signifier le déclin économique relatif de l'Europe, qui s'efface devant les nouvelles superpuissances de la deuxième partie du XXe siècle.

 

Le retard politique des pays d'Europe centrale en 1900 (autocratie des Habsbourg et des Hohenzollern) contraste avec leur avance économique . Il contraste aussi avec les institutions plus représentatives et stabilisées de la Grande Bretagne et de la France.

 

Cette absence de démocratie est en partie responsable du déclenchement de la "grande guerre" en 1914. En effet, on peut penser que des institutions plus évoluées en Allemagne, avec un contrôle plus étroit de la majorité sur l'éxécutif et une séparation des pouvoirs, auraient pu permettre d'éviter les risques de la politique aventureuse et nationaliste du Kaiser.

 

 Une fois l'engrenage déclenché qui mènera à la Première Guerre mondiale, personne ne pourra l'arrêter, et la Seconde Guerre mondiale avec ses nouvelles horreurs n'est que la conséquence de la première et du mauvais règlement qui la suit.

 

 


 

Résumé du chapitre 2

 

   L'industrialisation en Europe au XIXe siècle procède de façon régionale comme l'a montré Pollard. Les "taches" géographiques de l'industrie traversent les frontières, souvent en fonction des gisements de fer et de charbon, et même les pays les plus industrialisés comme l'Angleterre ou la France conservent des régions entières qui ne sont pas affectées par le processus.

   La première révolution industrielle du continent transforme la Belgique qui suit en gros le modèle britannique.La Hollande au contraire malgré un niveau de vie encore élevé en Europe grâce à son commerce et son agriculture, ne s'industrialise pas et devra attendre la fin du siècle. Des salaires élevés par rapport à ceux prévalant en Belgique et l'absence de ressources minières permettent d'expliquer ce retard.

   La France monarchiste après 1815 connaît également des transformations rapides, qui tendent à s'accélérer sous le règne du "roi bourgeois", Louis-Philippe : fer au Creusot, charbon de la Loire et du Nord, machines à vapeur construites autour de Paris, textiles dans le nord-ouest, sont des activités qui se modernisent et accroissent considérablement leur production. Le chemin de fer, introduit très vite après l'Angleterre, dès 1832, exerce de puissants effets stimulants et industrialisants dans les années 1840. Les techniques agricoles progressent sans qu'un régime de grandes exploitations modernes soit introduit comme en Angleterre ou en Prusse.

   La période des mutations les plus intenses est cependant celle des deux décennies du second Empire, caractérisé par une action volontaire et cohérente de l'État en faveur de l'industrie, de l'équipement du pays et de sa modernisation institutionnelle et financière. Les grands travaux dans les villes, qui inaugurent le monde urbain moderne, les nouveaux statuts des banques et des sociétés anonymes, l'essor rapide de la production agricole et des chemins de fer, dans une phase générale de croissance, caractérisent ce qu'on a appelé "la fête impériale". L'apogée du régime est marquée en 1860 par le traité de commerce Cobden-Chevalier avec l'Angleterre, qui fait entrer la France, et l'Europe à sa suite, dans un libre-échange général.

   Les États allemands vont réaliser leur intégration économique et politique par étape entre 1834 (création du Zollverein) et 1871 (unification, avec la formation du IIème Reich proclamé dans la galerie des Glaces à Versailles à la suite de la défaite française de 1870). Le rôle de la Prusse et des hommes politiques comme Von Motz et surtout Bismarck, l'action des intellectuels comme List, ainsi que le rapprochement géographique grâce aux chemins de fer, auront été déterminants dans cette réussite. La Prusse connaît une industrialisation accélérée dans cette période grâce aux richesses minières de la Ruhr exploitées à partir de 1849, une expansion symbolisée par le succès mondial d'entreprises comme Krupp ou Thyssen.

 

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