COMPTE RENDU
La force de l’évidence
Jacques Brasseul, 1) Petite Histoire des faits économiques et sociaux, collection « U », Armand Colin, Paris, 2001, 212 p. – 2) Histoire des faits économiques – de la grande guerre au 11 septembre, collection « U », Armand Colin, Paris, 2003, 303 p.
Après un premier tome consacré à la période allant des origines à la première révolution industrielle, un second tome traitant du XIXe siècle (tous deux analysés ici : Région et Développement, n° 6-1997 et n° 11-2000), le professeur Jacques Brasseul a achevé en 2003 sa magistrale histoire économique du monde par un troisième volet où il traite du XX° siècle. Entre temps, il a donné chez le même éditeur un condensé de sa trilogie, qui a déjà fait l’objet de plusieurs rééditions. Le lecteur pressé, le professeur en retard pour préparer un cours ou l’étudiant en période de révision y trouveront les repères essentiels pour comprendre l’évolution économique du monde depuis la Renaissance jusqu’à aujourd’hui, sans risquer de tomber dans le piège de la superficialité. Contraint de s’en tenir à nombre restreint de pages, l’auteur a choisi en effet de renoncer à l’exhaustivité afin de se donner la respiration nécessaire pour expliquer les faits les plus saillants de l’histoire économique.
Ce livre est divisé en huit chapitres ; la taille de chacun d’eux est un bon indicateur de l’importance accordée par l’auteur aux sujets qu’il a choisi de traiter. Celui qui est consacré à la révolution industrielle anglaise du XVIIIe siècle se détache nettement avec 44 pages, suivi de loin par le chapitre intitulé « Guerres et crises de 1914 à 1945 » (28 pages). De fait, quoi de plus important que le moment où le monde occidental est sorti soudain de la phase de croissance très lente, amorcée au néolithique, où les progrès qui se succédaient à un rythme lui-même très lent servaient essentiellement à augmenter la population, sans que l’on puisse parler, en dehors de quelques rares régions, d’un « monde plein » – et que le moment où l’économie capitaliste jusqu’alors triomphante malgré les fluctuations cycliques, est si durement frappée qu’on peut à juste titre douter qu’elle se relève un jour ? D’autant que, en Russie, un autre modèle était en train de s’installer, que nombre d’observateurs considéraient comme prometteur.
La Révolution industrielle n’est pas un miracle ; elle a été préparée par les millénaires et les siècles précédents ; il lui fallait cette lente maturation préalable, l’ « accumulation primitive » mais également tout ce qui rentre dans la « superstructure » (pour rester dans le vocabulaire marxiste) : les connaissances (la science), les institutions (la monarchie parlementaire), les mentalités (l’individualisme). Dans le chapitre qui lui est consacré, J. B. développe ces thèmes et bien d’autres. Il insiste en particulier sur la révolution agraire qui commence, en Angleterre, dès le début du XVIIIe siècle et qui est loin de se limiter au fameux « clôturage ». Même dans cette Petite Histoire, le lecteur sera séduit par les précisions pittoresques qui font tout le sel de la trilogie. Ainsi apprend-on, en même temps que le rôle du navet dans les nouveaux assolements, que les Anglais surnommaient Turnip (comme navet) Townshend le landlord, Charles Townshend, qui s’était pris de passion pour cette cruciféracée. Mais le lecteur sera surtout intéressé par les débats de fond, qui caractérisent l’approche historique de J. B. et qui ne sont pas écartés ici. En particulier, la question du retard de la France sur la Grande-Bretagne qui fait l’objet de positions contradictoires chez les historiens. Il y a en effet un paradoxe dans la situation de la France au XVIIIe siècle. En dépit des vicissitudes bien connues, elle demeure la grande puissance européenne non seulement sur le plan culturel mais également sur le plan économique. Ainsi un auteur comme Nick Crafts a-t-il pu défendre la thèse suivant laquelle le décollage soudain de l’Angleterre au lieu de la France serait plutôt dû au hasard qu’à un quelconque déterminisme. Qui sait ? L’histoire est faite de beaucoup d’incertitudes. Les statistiques fiables et détaillées ne couvrent qu’une période très brève, la plus proche de nous ; lorsqu’on s’intéresse au XVIIIe siècle les connaissances indispensables pour se prononcer avec une assurance suffisante font défaut. C’est pourquoi, on peut considérer que J. B. a fait preuve de sagesse en se contentant d’exposer les pièces du dossier et les positions en présence. Cela ne l’empêchera pas, à l’occasion, de faire part de ses convictions comme on le verra.
Les deux guerres mondiales et la « grande dépression » – qui font l’objet d’un chapitre dans la Petite Histoire – occupent une bonne moitié du dernier tome de la trilogie. Plus encore, me semble-t-il, que les deux tomes précédents, celui-ci démontre à tout instant la grande culture de l’auteur, qui n’est pas seulement une culture d’économiste. Elle lui permet de placer l’histoire des faits économiques dans un contexte beaucoup plus large, hors duquel il est très difficile de comprendre vraiment comment les cartes de la puissance économique ont été rebattues. Tout part effectivement de la Première Guerre mondiale qui va affaiblir durablement l’Europe, et entraîner aussi bien l’avènement des États-Unis comme puissance hégémonique que l’apparition et le maintien des deux fascismes, le rouge et le brun, avant de déboucher sur une deuxième guerre mondiale. À noter que J. B. n’assimile pas lui-même explicitement le régime stalinien au fascisme mais il caractérise – suivant Halévy – l’entre-deux-guerres comme « l’ère des tyrannies » et il présente une description de la dictature de Staline qui rejoint dans l’horreur celle qu’il nous propose du régime hitlérien, la différence étant que le second était finalement beaucoup plus populaire que la première. Citant M. Roncayolo, J. B. nous rappelle que « les Allemands ont appuyé en masse les nazis au pouvoir, même si la liberté et la démocratie avaient disparu, parce que le pays obtenait des succès diplomatiques (effaçant peu à peu les clauses de Versailles), des succès économiques sur le front du chômage, et qu’il retrouvait un ordre et une image organisée qui tranchaient avec la période de la grande inflation et d’anarchie de la république contestée des années 20 » (t. 3, p. 63).
L’histoire économique n’est pas séparable de l’histoire tout court. En nous rappelant les faits les plus saillants de celle-ci, J. B. nous en livre la démonstration constante. Dans le cas qui nous intéresse, sans l’assassinat du Kronprinz à Sarajevo, la déclaration de guerre de l’Empire austro-hongrois, l’entrée dans le conflit de toute l’Europe, par le jeu des alliances, puis des États-Unis, le traité de Versailles, on peut gager qu’il n’y aurait eu ni la révolution bolchevique, ni l’hyperinflation allemande, ni la prise de pouvoir par Hitler, et donc pas de second conflit mondial non plus. La politique et l’économie sont ainsi dans des liens de dépendance réciproque (la Première Guerre mondiale entraîne l’hyperinflation ; l’hyperinflation entraîne le nazisme). Inutile de dire que les esprits clairvoyants étaient capables d’anticiper ces causalités redoutables. J. B. rappelle opportunément les efforts déployés – en vain – par Keynes pour convaincre ses contemporains de l’inanité des conditions de paix imposées à l’Allemagne. Les chiffres pourtant étaient éloquents : tandis que l’indemnité de guerre versée par la France à l’Allemagne après la défaite de 1870 représentait environ le quart du produit national français (J. B., Histoire des faits économiques, t. 2, p. 73), la somme exigée de l’Allemagne à Versailles correspondait à deux ans et demi du PNB allemand d’avant-guerre (t. 3, p. 16) ! Les liens entre le poids des réparations et l’hyperinflation sont multiples et font l’objet d’un encadré très complet (p. 28 à 30) ; l’attitude de benign neglect des autorités allemandes traduit sans doute une intention de leur part de faire savoir au monde, par une sorte de démonstration par l’absurde, que leur pays était dans l’incapacité absolue de payer ce à quoi il s’était engagé sous la menace.
Le XXe siècle restera dans l’histoire comme une période de performances exceptionnelles avec une croissance de la production, de la population et du niveau de vie sans précédent. Il fut en même temps celui des guerres les plus meurtrières qu’ait jamais menées l’humanité, des affrontements nationalistes, ethniques et religieux à répétition, des génocides. Sur le plan économique, les succès sont atténués par les irrégularités de la croissance, la résistance du chômage sur le long terme, la persistance d’inégalités importantes, mais tout cela caractérisait déjà, à des degrés divers, le siècle précédent. Par contre l’épisode de la grande dépression reste jusqu’à présent, unique. Alors, on a pu croire que le capitalisme allait sombrer sans avoir étendu son emprise sur toute la surface de la terre, que les prédictions de Marx se réaliseraient plus tôt qu’il ne l’avait annoncé. L’événement a bouleversé bien des certitudes. On sait, en particulier, que c’est lui qui a décidé Keynes, aussitôt achevé le Traité sur la monnaie, à mettre en chantier la Théorie générale dans laquelle il allait traiter à peu près des mêmes questions dans une perspective tout à fait différente, qui n’était plus celle de la récurrence plus ou moins régulière des cycles mais celle de la dépression durable. On sait aussi que beaucoup d’économistes considèrent désormais que, grâce justement aux enseignements de Keynes, un accident aussi grave que celui des années 30 ne saurait se reproduire. Qui vivra verra. Force est de constater, en tout cas, qu’un accord parfait n’existe pas, encore aujourd’hui, sur les causes de cet épisode majeur. J. B. consacre une quinzaine de pages passionnantes aux diverses thèses en présence. Les explications structurelles se mêlent aux explications conjoncturelles. On s’attendrait à voir accorder plus de place à la théorie de la régulation, puisque rappelons-le, M. Aglietta évoquait déjà dans sa thèse (1974) une « crise majeure de l’accumulation » à propos de la grande dépression, explication qui sera reprise en 1978 par R. Boyer et J. Mistral dans Accumulation, inflation et crises. Faisant un point provisoire, en 1986, sur l’apport de l’école de la régulation, celui qui était devenu entre-temps le chef de l’école régulationniste (française) présentait la grande dépression à la fois comme une « crise du système de régulation » en vigueur à l’époque et, au-delà, comme une « crise du mode de développement ».
Cette dernière se définit par l’arrivée aux limites et à la montée des contradictions au sein des formes institutionnelles les plus essentielles, celles qui conditionnent le régime d’accumulation… Au cours d’un tel épisode, font donc question les régularités les plus essentielles, celles que sous-tendent l’organisation de la production, l’horizon de valorisation du capital, le partage de la valeur et la composition de la demande sociale (R. Boyer, La Théorie de la régulation : une analyse critique, la Découverte, 1986, p. 68).
S’il reprend l’analyse de la suraccumulation comme l’un des facteurs déclencheurs de la crise (la part des salaires dans la valeur ajoutée a diminué, la production augmentait trop vite par rapport à la consommation), J. B. n’inscrit pas ses analyses dans la grille de lecture régulationniste. Mais il décrit, naturellement, les événements principaux qui ont accompagné cette crise et son prolongement. La suraccumulation, phénomène réel, est une conséquence de la crise de la régulation, en particulier de l’incapacité de la banque centrale américaine à maîtriser l’offre de crédits. J. B. rappelle que c’est sur l’intervention de Churchill, bientôt appuyé par Charles Rist et Hjalmar Schacht (alors gouverneurs des banques centrales française et allemande), que le président du FED, Benjamin Strong, a baissé les taux au moment où il aurait fallu au contraire freiner la création monétaire. Son successeur, George L. Harrisson commettra l’erreur inverse en menant une politique monétaire restrictive alors que la crise des liquidités se manifestait déjà. Comme le signale d’ailleurs R. Boyer, les monétaristes et les keynésiens sont d’accord pour critiquer la mauvaise gestion de la crise par les autorités monétaires (pas seulement américaines, J. B. rappelle les erreurs que furent aussi bien le rétablissement, en 1925, de la convertibilité or de la livre à la parité d’avant-guerre, que la réforme Poincaré de 1928 – cf. t. 3, p. 104 et 112) même s’ils en tirent des conclusions opposées : pour les uns les interventions publiques sont par nature déstabilisatrices ; pour les autres les autorités monétaires n’ont eu que le tort d’intervenir à contretemps, d’avoir mené des politiques procycliques là ou, à l’évidence (i. e. à la lumière des enseignements de Keynes), des politiques contracycliques s’imposaient.
Le livre de J. B. est passionnant aussi parce qu’il montre le poids des individus dans l’histoire. Une personne particulière, à un moment particulier, peut entraîner tout un peuple et même au-delà dans la bonne ou dans la mauvaise direction. Certes, à long terme, des déterminismes existent qui sont plus forts que les individus, mais à court terme, c’est-à-dire ici à l’échelle humaine, il existe bien des personnalités providentielles ou au contraire néfastes. L’histoire de l’entre-deux-guerres ne le prouve que trop. Et J. B. laisse entendre que la grande dépression, avec son cortège de chômeurs, de miséreux aurait pu tout aussi bien susciter l’avènement d’un fascisme américain. Il évoque la personnalité peu connue du démagogue Huey Long, (p. 88), gouverneur puis sénateur de Louisiane, qui instaura une sorte de dictature violente et corrompue dans son Etat et qui se posa en rival dangereux de Roosevelt. S’il se trouve, pour le bonheur des Américains, que Long fut assassiné en 1935, les choses auraient pu tourner tout autrement.
La deuxième partie du livre est intitulée « les progrès de la mondialisation 1950-2001 » ; elle couvre donc exactement la deuxième moitié du XXe siècle. Infiniment plus paisible et plus prospère que la première, elle semble conduire inexorablement au triomphe définitif du capitalisme. L’échec patent des régimes communistes, l’absence d’autre alternative, tout converge vers la vision d’un « fin de l’histoire », au sens que lui a donné Fukuyama. Car même s’il n’y a rien de définitif en histoire, il est vrai que nous nous trouvons aujourd’hui dans une phase où nous serions bien en peine d’imaginer autre chose que l’amélioration progressive de ce que nous connaissons déjà. Jamais les valeurs portées par l’économie de marché n’ont paru mieux établies. Même un économiste comme Sen, si critique envers certaines conséquences du libéralisme économique, s’en est fait le propagandiste (« le mécanisme du marché… est un arrangement de base à travers lequel les gens peuvent interagir les uns avec les autres et entreprendre des activités mutuellement avantageuses. Dans cette optique, il est très difficile de comprendre qu’une critique raisonnable puisse s’opposer à ce mécanisme en tant que tel », cit. p. 282). L’histoire des faits économiques telle que la voit J. B. est toute entière imprégnée par une conviction du même genre. Les progrès économiques et sociaux lui apparaissent indissociables de l’ouverture des frontières, de la libération progressive des individus et des initiatives, de tout ce qui contribue à une allocation efficace des ressources. Si l’on en doutait, on ne saurait manquer, en le lisant, d’être vaincu par la force de cette évidence.
Si J. B. partage la foi des économistes dans l’économie de marché, la concurrence, le libre-échange – comme, je suppose, les lecteurs de cette revue –, il ne se situe pas moins très loin de l’ultralibéralisme. Selon lui les succès économiques de l’Occident après la guerre sont ceux d’ « un capitalisme mixte, caractérisé par l’extension du secteur public, le développement de l’Etat providence à la fois protecteur et redistributeur, la mise en place d’une régulation macroéconomique keynésienne » (p. 169). J. B. n’insiste pas sur les travers de toute sorte que l’on peut repérer dans les sociétés qui ont pratiqué depuis longtemps ce fameux « capitalisme mixte » (alors qu’il souligne les inconvénients de la corporate governance, p. 185). Peu importe, après tout. J. B. ne cherche pas à dissimuler les défauts du capitalisme ; ce qui importe selon lui, c’est la capacité qu’il démontre de les dépasser.
Le capitalisme a progressé un peu partout depuis la chute du communisme en 1990, même si les krachs, les faillites, les scandales et les contestations continuent à le caractériser. Mais il a tellement évolué par le passé, surmontant toutes sortes de crise, tirant la leçon de ces crises mêmes en imaginant de nouvelles formules (les lois antitrust contre les barons pillards de la fin du XIXe, la régulation keynésienne après la crise de 29), laissant à l’Etat un simple rôle de spectateur au départ pour lui donner ensuite celui d’un régulateur, mettant en place diverses protections sociales dans le cadre de l’Etat providence, dépassant finalement les systèmes socialistes concurrents, qu’on peut penser qu’il continuera à changer, à s’adapter, tout au long du XXIe siècle (p. 224).
L’ouvrage se clôt sur un dernier chapitre consacré au tiers-monde. L’expression, nous est-il rappelé, a été forgée par Alfred Sauvy par analogie avec le tiers-Etat de l’Ancien Régime, « ignoré, exploité et méprisé ». Certes, « le » tiers-monde n’existe plus vraiment, d’abord parce que les pays qu’on rangeait dans les années 50 sous ce vocable ont nettement divergé depuis, certains ayant presque rejoint les pays développés (on pense bien sûr aux emblématiques dragons asiatiques), d’autres (toujours en Asie) semblant bien partis sur le chemin du développement, celui où la forte croissance n’empêche pas la réduction des inégalités. Surtout, peu d’économistes de nos jours seraient prêts à défendre la thèse suivant laquelle le sous-développement serait d’abord le résultat d’une exploitation des pays pauvres par les pays riches. J. B. réévalue par exemple avec pertinence les critiques économiques du colonialisme. Il montre d’une part que les colonies n’ont jamais pesé bien lourd dans les économies des métropoles, donc qu’elles n’ont jamais constitué pour elles un enjeu économique essentiel, et d’autre part que les pays qui ont eu le moins de contact avec les Européens (Afghanistan, Ethiopie, intérieur de l’Afrique) sont aussi les moins développés. Ainsi Marx et Engels reconnaissaient-il déjà à la bourgeoisie le mérite « d’entraîner toutes les nations jusqu’aux plus barbares dans la courant de la civilisation » (Manifeste communiste, 1848, cité p. 247).
Coexistent donc aujourd’hui plusieurs « tiers-monde(s) » parmi lesquels l’Afrique subsaharienne constitue un cas à part. Elle représente en effet 10% de la population de la planète mais seulement 1% du PIB mondial et 2% des échanges ! Il est permis de penser que les pays donateurs partagent avec les pays aidés la responsabilité de l’échec des politiques de développement qui sont conduites depuis des décennies sans empêcher l’appauvrissement des Africains, mais J. B. voit surtout dans la faiblesse des institutions la cause de la persistance du sous-développement sur le continent africain. Il reprend donc à son compte le discours actuel de la Banque mondiale et des autres bailleurs de fonds quant à la nécessité d’instaurer l’Etat de droit en préalable au développement. Reconnaissons que le problème est complexe. D’une part parce qu’on connaît des success stories économiques dans des pays où l’on ne respecte pas les libertés formelles telles que la Banque mondiale les entend (hier l’Allemagne nazie, aujourd’hui Singapour par exemple, ou la Chine). D’autre part parce qu’on voit mal sur quelle couche sociale africaine on peut s’appuyer pour faire advenir ce fameux Etat de droit.
Les ouvrages de J. B. sont toujours stimulants. Ils appellent des débats : le lecteur a en main le dossier, les thèses en présence avec les arguments principaux. A lui de prolonger la réflexion pour décider à quel parti il se rangera ou pour laisser, lui aussi, la question ouverte. Ce qui rend les écrits de J. B. si passionnants, c’est que, s’ils sont clairement ceux d’un économiste, ils combinent l’histoire événementielle, l’histoire politique, l’histoire des idées, l’histoire sociale pour constituer le cadre dans lequel les faits proprement économiques trouveront leur signification. En notre temps, où la spécialisation impose de plus en plus ses contraintes, il est rare de rencontrer un auteur aussi savant, avec des compétences aussi diverses que J. B. Il reste à souhaiter que son œuvre rencontre encore plus de lecteurs, et pas seulement dans le milieu universitaire. Peut-on alors, pour finir, suggérer à son éditeur de lancer une édition de poche des trois tomes et de la Petite Histoire, l’ensemble pouvant être regroupé dans un coffret. Cela permettrait accessoirement de rendre clair aux yeux de tous que le livre que nous avons examiné ici, qui va « de la grande guerre au 11 septembre » est bien le troisième tome de la trilogie, cette mention n’apparaissant nulle part sur la couverture ou à l’intérieur du livre.
Michel Herland
Centre d’Economie et de Finances Internationales, CNRS – Université d’Aix-Marseille 2