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Chapitre 3  L'évolution du capitalisme industriel au XIXe siècle

 

 

Sommaire

 

Introduction

 

1. Cycles, fluctuations et crises

 

2. La seconde révolution industrielle : chimie, électricité, pétrole, automobiles

 

3. La concentration et l'organisation des entreprises

 

Conclusion

 

 

Introduction

 

 

   On vient de voir dans le chapitre précédent comment au XIXe siècle le capitalisme industriel se mettait définitivement en place en Europe occidentale. Les États-Unis à la fin du siècle commencent leur irrésistible ascension stimulée par une immigration massive. Leur économie et celles des pays européens sont de plus en plus liées. Elles présentent certaines caractéristiques et traits d'évolution communs qui seront étudiés maintenant : les fluctuations cycliques (1), les transformations technologiques (2) et les mutations structurelles (3).

 

 

 

1. Cycles, fluctuations et crises

 

   Le cycle économique ou des affaires (business cycle) est un mouvement sinusoïdal périodique en quatre temps, ordonné autour d'une phase de prospérité, d' expansion ou de croissance (I), suivie de la crise (II) qui fait basculer l'économie dans une période de dépression (III). Le creux de la dépression est suivi de la reprise (IV), début d'une nouvelle phase de prospérité.

La crise devient ainsi l'un des moments du cycle, elle n'est qu'une étape qui permettra, par la « destruction créatrice » (Schumpeter) des industries vieillies, pendant la phase de dépression, d'autres progrès avec des activités nouvelles.

 

 

1.1. Les cycles longs des prix de Kondratief : 50 à 60 ans

 

NICOLAS KONDRATIEF

 

   Le cycle découvert par l'économiste russe, exécuté par Staline dans les années trente, est un cycle des variations de prix et non de la production, bien que Kondratief pensait que les prix allaient de pair avec l'activité économique : baisse des prix et de la production, hausse des prix et de la production.

 

 En réalité, le XIXe siècle dans son ensemble est un siècle de croissance, et il est impossible de parler de phases longues de stagnation ou de recul du produit global. Tout au plus peut-on constater un ralentissement de la croissance dans les phases de déflation et inversement.

 

   Les dates des pics pour les phases ascendantes (A) et descendantes (B) des prix pour les trois premiers cycles de type Kondratief, depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu'à la crise de 29 ou la guerre de 39-45 :

 

 On reprend la terminologie de Schumpeter :

le premier cycle est celui de la révolution industrielle basée sur le coton, la vapeur et le fer ;

 le deuxième est celui des chemins de fer et de l'acier, c'est l'apogée de la bourgeoisie ; CYCLE DE LA RAILROADIZATION

le troisième est celui de l'électricité, de la chimie, du pétrole et des moteurs à combustion (qualifié de CYCLE NÉOMERCANTILISTE parce qu'il est marqué par le retour au protectionnisme vers 1890).

 

Tableau 6 Les cycles longs

___________________________________________________________________________

                                1er cycle (révolution ind.)    2è cycle("bourgeois"/railroadization)3è cycle(néomerc./2è rév.i.)

                         ⁄       A        ⁄         B         ⁄          A         ⁄            B           ⁄        A         ⁄         B    ⁄

Kondratief (1926)               1790    1810/17                 1844/51                1870/75                1890/96                1914/20   

Simiand (1932)     1789        1815/18              1850                      1875                      1896/97                1926/28

Schump. (1939) 1787          1813/14              1842/43                           1869/70                    1897/98 1924/25        1939

Imbert (1959)       1787/89   1814                   1848/52                1873                      1896                      1920/26  1932/5

Bouvier (1974)                                                    1840                      1865                      1897                      1913

Amin (1975)          1815        1840                    1850                      1870                      1890                      1914        1948

Rostow (1978)      1790        1815                    1848                      1873                      1896                      1920        1935

Mandel (1980)                       1826                    1847                      1873                      1893                      1913    1939/48

Dockès/R.(1983)  1789        1815/17              1849/50                1873                      1895                      1919    1939/45

Source : Bosserelle, 1994

 

 

Schumpeter (1939)       1787          1813/14      1842/43

                                     1842/43      1869/70      1897/98     

1897/98      1924/25        1939

 

 

1940   1973   1996    TRENTE GLORIEUSES, TRENTE PITEUSES

CYCLE DES BIENS DE CONSOMMATION DURABLES : CONSOMMATION DE MASSE

 

1996 ?   TROISIÈME RÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE, TROISIÈME RÉVOLUTION « INDUSTRIELLE », LES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION, LA « NOUVELLE-ÉCONOMIE ».

 

 

   Les causes des cycles longs de prix sont liées aux innovations, les grappes de nouvelles découvertes, selon la formule de Schumpeter, faisant repartir l'activité et les prix, les creux technologiques correspondant au contraire à la déflation.

 

 Des causes monétaires (découvertes ou pénurie de métaux précieux) ont été également avancées et elles correspondent aussi aux dates du Kondratief : les années 1850 et 1890 étant celles de l'abondance de numéraire.

 

 

1.2. Les cycles de l'activité économique sur la moyenne ou courte période

 

   Il s'agit ici de l'évolution des variables réelles : production, investissement, emploi, commerce extérieur.

 

Trois types de cycle ont été analysés : le cycle majeur ou Juglar (1862) de 7 à 11 ans ;   Business cycle

 

 le cycle court, intercycle ou Kitchin (1923) de 40 mois environ ;

 le cycle Simon Kuznets (1967) de 16 à 22 ans.

 

Le retournement du cycle correspond à la crise économique, qui change au XIXe siècle, passant de la crise d'ancien régime (1788, 1800, 1810, 1817)

 à la crise intermédiaire (1825, 1836, 1847)

et finalement la crise industrielle capitaliste (1857, 1866, 1873, 1882, 1890, 1900, 1907, 1913, 1929),

 

 au fur et à mesure que l'agriculture décline dans les économies au profit de l'industrie, que le commerce international et les mouvements de capitaux progressent, et que le système bancaire et financier s'étend à toutes les activités.

 

Crise d'ancien régime : crise agricole qui se transmet aux industries, surtout le textile et le bâtiment,

 hausse des prix (agricoles), baisse des revenus réels des catégories populaires, baisse de la demande de produits manufacturés, crise des secteurs manufacturiers

 

chômage

elle profite aux vendeurs de grains et prend un tour politique (émeutes contre les « accapareurs »).

 

Non régulière (aléas climatiques)

 

La crise se manifeste par une hausse des prix agricoles :

î Quantités (ex. mauvaise récolte, pénurie alimentaire) => ì Prix

 

La sortie de crise, par une baisse des prix agricoles :

ì Quantités (ex. bonne récolte, abondance alimentaire) => î Prix

 

 

Crise intermédiaire : crise d'origine agricole (baisse de la production, hausse des prix) qui se propage rapidement sur plusieurs fronts (bourse, banques, industries, commerce extérieur) du fait de l'interdépendance croissante des secteurs et des économies nationales.

L'exemple type en est la crise de 1847 qui déclenche les révolutions de 1848 en Europe.

 

 

Crise industrielle capitaliste : crise de surproduction et/ou crise financière, bancaire, accompagnées de baisse de prix, de la production, de l'emploi et de faillites en chaîne.

 

Crise industrielle :

î Quantités (dépression) et î prix (déflation)

 

Reprise :

ì Quantités (croissance) et ì prix (inflation)

 

CRISES RÉGULIÈRES, TOUS LES 7 À 11 ANS

 

JUGLAR    Business cycle

 

Résumé

Cycles longs, Kondratief, prix, innovations, monnaie

Cycles moyen ou court terme : Juglar, Kitchin, production

Crises d’ancien régime : variations opposées des prix et quantités

Crises industrielles capitalistes : variations parallèles des prix et quantités, périodicité, propagation par l’interdépendance des économies

 

Histoire des crises et des cycles économiques

Philippe Gilles, Armand Colin

 

 

2. La seconde révolution industrielle : chimie, électricité, pétrole, automobiles

 

1880-1920

 

   À la fin du siècle, la vapeur est encore la principale source d'énergie, mais elle présente des obstacles à l'expansion industrielle :

 

 les machines à vapeur sont volumineuses et ne sont donc accessibles qu'à de grandes entreprises,

elles ne permettent pas une décentralisation industrielle.

 

 Ensuite le rendement thermique reste faible, les neuf dixièmes de la chaleur produite ne se transforment pas en mouvement.

 

 Enfin, les accidents sont toujours une menace et les chaudières explosent régulièrement.

 

Le moteur à explosion et le moteur électrique apportés par la deuxième révolution industrielle permettront de résoudre ces difficultés.

 

   En outre, la recherche scientifique et technique s'oriente à partir de la seconde révolution industrielle vers des voies différentes, du visible vers l'invisible :

 

« Vers 1875, date charnière, la technologie industrielle occidentale entreprenait une grande mutation : du monde visible des leviers, engrenages, cames, axes, poulies et manivelles qui l'occupait jusqu'alors,

 

elle portait son intérêt au monde invisible des atomes, des molécules, des flux électroniques, des ondes électromagnétiques, des inductions, capacitances et actions magnétiques, des bactéries, des virus, des gènes. »

 

Rosenberg et Birdzell

 

 

2.1. Électricité

 

   Il s'agit de la seule forme d'énergie transportable facilement et capable d'usages multiples : moteurs, chauffage, éclairage.

 

Le gros avantage par rapport à la vapeur est qu'on peut utiliser la puissance produite par un générateur à distance, sans perdre d'énergie, au lieu de devoir nécessairement l'utiliser sur place :

 

« Avant l'électricité, le moteur central faisait tourner chaque machine de l'usine par l'intermédiaire d'arbres de transmission, d'engrenages, de poulies et de courroies. Que la source d'énergie fût la vapeur ou l'eau courante, cet appareillage était indispensable pour mouvoir à l'autre bout la broche de filature, la navette du métier, le marteau ou la scie mécanique, la soufflerie. Plus le système à desservir s'étendait, plus les mécanismes de transmission se compliquaient, et plus s'aggravaient les pertes par frottement...

...(Les petites unités industrielles), trop modestes pour s'équiper d'une machine à vapeur ou occuper un site hydraulique, avaient dû se contenter de machines mues à la main ou par des pédales.

Avec les réseaux électriques, elles pouvaient désormais utiliser des moteurs. Le résultat fut d'arrêter l'élimination de la petite industrie, et plus encore de permettre à des secteurs où la production par petites quantités était restée dominante de réduire leurs coûts, d'abaisser leurs prix, d'accroître leurs ventes et d'embaucher davantage » (Rosenberg & Birdzell, 1985).

 

Concentration et technique

 

 Ainsi l'électricité permet donc le développement des PME car c'est une forme d'énergie utilisable dans les plus petits ateliers. Grâce à elle le mouvement de concentration rapide des années 1890-1910 est contrebalancé par la multiplication de firmes de taille réduite utilisant des outils modernes et travaillant de façon complémentaire avec les géants de l'industrie (fournisseurs, sous-traitants, firmes spécialisées, etc.).

 

 

 Le capitalisme s'est bien concentré, comme l'avait prédit Marx, mais il n'a cessé en même temps de se renouveler à la base, et il a donc évité l'évolution vers la caricature de quelques propriétaires régnant sur un petit nombre de monstres, que la masse des prolétaires finirait fatalement par exproprier.

 

MARX  1840  1860 1870  Avant la deuxième révolution industrielle

1883 mort de Marx

Le schéma d’une concentration toujours plus grande est infirmée par l’évolution technique.

1980 Mouvement de concentration massif au niveau international

À la base : nouvelle technologie, Internet, multiplication des petites firmes (Start-up)

 

 

Innovations

 

Michael Faraday, à partir des recherches d'Alessandro Volta et d'André Ampère, conçoit le moteur électrique dès 1821.

 

En 1832, il fabrique un générateur dynamo-électrique primitif qui transforme l'énergie mécanique en électricité.

 

 Des dynamos plus efficaces seront construites par Werner von Siemens en 1866 et le Belge Zénobe Gramme en 1870.

Elles sont couplées à des machines à vapeur pour réaliser un mouvement transformé en courant électrique. La machine de Gramme est réversible, elle peut produire du courant à partir du mouvement, ou bien l'inverse.

 

Marcel Deprez, grâce à sa découverte du courant à haute tension, peut réaliser le premier transport d'énergie en 1882 entre Grenoble et Vizille, puis Creil et Paris en 1883.

 

En 1890 un autre Français, Aristide Bergès, met au point la turbine hydro-électrique qui va permettre la mise en œuvre du potentiel des montagnes, et en premier lieu des Alpes.

 

L'ampoule incandescente à filament de carbone est inventée par Joseph Wilson Swan en Angleterre en 1860 et perfectionnée par Thomas Alva Edison aux États-Unis en 1878 (ampoule à haute résistance et sous vide pour éviter la combustion trop rapide du filament), ce qui ouvre la voie à une utilisation domestique universelle et nécessite la création de centrales de production d'énergie (à charbon, à vapeur ou hydraulique).

 

 

   Les premiers tramways électriques apparaissent à Berlin en 1879 grâce à von Siemens et seront adoptés dès 1883 à Paris. C'est un nouveau départ pour l'industrie des chemins de fer en train de s'essouffler : on passe des liaisons entre les villes aux transports ferroviaires urbains (trams et métros : celui de Paris construit par Bienvenüe voit sa première ligne ouverte le 19 juillet 1900).

 

 Les ascenseurs électriques permettent de construire des immeubles de plus en plus élevés et les premiers gratte-ciels apparaissent à New York.

 

 Le télégraphe électrique est mis au point par l'Allemand von Soemmering et l'Américain Samuel Morse qui lui invente un code (1834). Une première liaison est établie par Morse entre Washington et Baltimore en 1844 et un câble sous-marin est posé entre la France et l'Angleterre en 1851 par Thomas Crompton, « un triomphe technologique qui dura 37 ans ». La liaison vers les États-Unis sera réalisée en 1866.

 

 Au plan économique, cette invention est essentielle car elle permet de relier les divers marchés entre eux au niveau mondial et de gérer les entreprises au delà des frontières.

 

Les marchés des titres, des devises, des matières premières fonctionnent à l'échelle planétaire et la multinationalisation des firmes commence :

 

« C'est le télégraphe qui, pour la première fois, permit une bonne gestion directe d'une entreprise industrielle dans un pays à partir d'un autre. Avant lui, la pratique des opérations de change de monnaies et de banque dans plusieurs pays devait, pour être profitable, bénéficier d'un nombre élevé de frères ou de cousins, ayant les mêmes modes de pensée et des intérêts communs » (Charles Kindleberger, 1990).

 

 

   Le téléphone est inventé par l'Américain Graham Bell (1876) et Paris accueille le premier réseau en Europe (1879). En 1912, les États-Unis ont une avance considérable avec 8 millions d'abonnés sur 12 millions dans le monde.

 

À la fin du siècle, le télégraphe sans fil (TSF), utilisant les ondes électro-magnétiques ou hertziennes (découvertes par James Clark Maxwell et Heinrich Hertz est réalisé par O. Lodge (1895) et Guglielmo Marconi (1896). C'est l'origine de la radio utilisée dès 1906,

 

 et dont Marconi ne soupçonnait pas les applications possibles, puisqu'il pensait que son invention ne servirait que là où il était impossible de poser des câbles, par exemple entre deux navires.

 

Finalement, plus que toute autre invention, les applications de l'électricité vont révolutionner la vie humaine.

 

Fée électricité

Raoul Dufy

 

 

2.2. Pétrole, automobile, aviation

 

   Le premier moteur à combustion interne à deux temps (au gaz) est construit par le Belge Jean-Étienne Lenoir en 1862. Alphonse Beau de Rochas élabore le principe du moteur à quatre temps qui sera finalement réalisé par l'Allemand Nikolaus Otto en 1876.

 

Le combustible utilisé sera l'essence issue du pétrole, qui servait jusque là sous forme de lubrifiant, solvant, bitume, paraffine ou huile de chauffage.

 

 L'automobile est née lorsque Gottlieb Daimler et Karl Benz mettent au point à Mannheim en 1885 un véhicule utilisant un moteur à 4 temps avec un carburateur mélangeant l'air et l'essence.

 

 En 1888, John Boyd Dunlop fabrique les premiers pneumatiques en caoutchouc en Irlande et à Birmingham, il est suivi par les frères André et Édouard Michelin en France qui mettent au point le premier pneu démontable en 1891.

 

 Rudolf Diesel crée à Munich un moteur thermique à injection en 1897, basé sur le principe de compression de l'air pour l'amener à une température suffisante et enflammer le combustible injecté.

 

C'est le moteur diesel, d'un rendement supérieur au moteur à essence, car toute l'énergie issue de la combustion est utilisée, sans mélange et sans dispositif d'allumage.

Les premiers moteurs construits par Diesel ont un rendement de 30 % (30 % de l'énergie thermique est transformé en travail, contre 10 % pour les machines à vapeur) et une puissance de 60 CV.

 

Très lourd, il servira pour produire de l'électricité (la première centrale thermique diesel est achetée par la brasserie Busch à Saint-Louis, Missouri), puis dès les années 1900-1910 pour les navires, les sous-marins (le poids y est un avantage), et enfin les locomotives, les camions et les automobiles à partir de 1920.

 

Aspects économiques

 

En 1906, une petite voiture coûte 6 à 7 fois le salaire annuel d'un ouvrier, et trois fois celui d'un employé des classes moyennes. Il s'agit d'un gadget de luxe.

 

Le démarrage de l'automobile est difficile faute d'infrastructures (routes, garage, pièces, essence ­‑ avant 1914 les automobilistes doivent acheter le carburant chez les épiciers ou les quincailliers qui en disposaient pour l'éclairage !) et à cause des pannes constantes.

 

 Les réglementations commencent à être mises en vigueur : par exemple, la vitesse en Angleterre est limitée sur les routes à 20 mph (32 km/h) en 1903 ; le permis de conduire fait son apparition (1891 en France, 1903 en Grande-Bretagne), ainsi que les écoles de conduite (1910), les plaques d'immatriculation (1903 en GB, 1909 en F). Le premier salon de l'auto a lieu à Paris en 1889. Des journaux spécialisés sont diffusés comme La Locomotion automobile ((1894) ou L'Auto (1900), revue de l'ACF qui tire à 320 000 exemplaires en 1914.

 

Dans les années 1890 se côtoient des voitures à vapeur ("l'Obéissante" d'Amédée Bollée), électriques (la "Jamais Contente" du Belge Camille Jenatzy qui établit le premier record du monde de vitesse : 105 km/h) et les voitures à essence. La première course automobile a lieu entre Paris et Rouen en 1894 à la vitesse de moyenne de 21 km/h, elle est gagnée par une De Dion-Bouton à vapeur ;

 

mais elle est suivie de Paris-Bordeaux et retour, en 1895, qui démontre la supériorité des moteurs à explosion (sur les 7 voitures à vapeur, une seule finit la course, contre 8 sur 11 des voitures à essence).

 

 

C'est la France, avec son apparent retard industriel, qui devient le premier constructeur mondial vers 1900 (tableau 7). En 1903 elle produit les 3/5 des voitures construites dans le monde.

 

Les fabriques se multiplient à Paris et en province où Armand Peugeot démarre en 1890 la construction d'automobiles.

Louis Renault (1877-1944, fonde sa firme en 1898 avec 6 ouvriers ; elle en comptera 4000 en 1913

Berliet entreprend la production de camions en série en 1906.

René Panhard et Émile Levassor lancent en 1891 le premier véhicule à essence commercialisé, avec tous les éléments basiques de la voiture à venir (notamment un moteur à l'avant contrairement aux modèles précédents). Leur société, principal constructeur d'automobiles en Europe, contrôle la moitié du marché français en 1900.

André Citroën (1878-1935) entre en 1908 dans la Société d'Électricité et d'Automobiles Mors, dont il reprend la direction. À la fin de la guerre, la firme, établie au quai de Javel, prend son nom et compte 13 000 ouvriers.

 Elle construit en 1919 la première voiture populaire en France, le modèle A1, suivi de la Torpédo et de la 5CV en 1922, fabriquée en série.

 

Tableau 7 Production de voitures

 

 

1900

1907

1913

1924

 

France

4 800

25 000

  45 000

   145 000

 

UK

   175

12 000

  34 000

   147 000

 

Allemagne

   800

  4 000

  23 000

     49 000

 

Italie

 

  2 500

    8 000

     50 000

 

USA

4 000

45 000

485 000

3 504 000

 

Canada

 

 

  18 000

   135 000

 

Tableau 8 Principaux constructeurs dans le monde en 1913

(unités produites)

 

Ford (USA)

202 700

 

Willys (USA)

  37 400

 

Studebaker (USA)

  32 000

 

Buick (USA)

  26 700

 

Cadillac (USA)

  17 300

 

Maxwell (USA)

  17 000

 

Hupmobile (USA)

  12 500

 

Reo (USA)

    7 600

 

Oakland (USA)

    7 000

 

Hudson (USA)

    6 400

 

Ford (GB)

    6 100

 

Chalmers (USA)

    6 000

 

Chevrolet (USA)

    6 000

 

Peugeot (F)

    5 000

 

Renault (F)

    4 700

 

Benz (D)

    4 500

 

Darracq (F)

    3 500

 

Opel (D)

    3 200

 

FIAT (I)

    3 100

 

Wolseley (GB)

    3 000

 

Berliet (F)

    3 000

 

De Dion-Bouton (F)

    2 800

 

Humber (GB)

    2500

 

Brennabor (GB)

    2 400

NB En gras, les firmes existant encore après la Deuxième Guerre mondiale

 

    La Ford Motor Company a été créée en 1903 à Detroit avec 12 ouvriers. Issu d'une famille de fermiers du Michigan, Henry Ford (1863-1947) est un passionné de mécanique et un visionnaire de l'industrie.

 

 

Production customisée : production réalisée à l’unité, pour satisfaire la demande d’une personne, d’un client (customer)

 

 Après avoir produit divers modèles de voitures sous les noms A, B, C, F, K, N, R, S, il arrive à T en 1908... Ce modèle, solide, simple et léger, va révolutionner l'industrie par la production en série sur une chaîne mouvante de montage, qui permet d'augmenter massivement la productivité et la production tout en réduisant les coûts et les prix.

 

ASSEMBLY LINE

 

 Si le système de l'assembly line a été lancé pour la première fois aux États-Unis, en partie à cause de la rareté de la main d'œuvre qualifiée, il est introduit en France par Dietrich à Argenteuil, mais il se heurtera à l'opposition des ouvriers qualifiés qui y voient déjà un aspect déshumanisant.

 

   La modèle T était vendue 850 dollars au départ, mais le prix passera à 290 dollars en 1924 pour un modèle bien supérieur. Ford augmente en même temps les salaires en 1914 avec le Five-dollars day pour ses ouvriers (plus du double du tarif en vigueur),

créant ainsi des débouchés pour ses propres produits et lançant la société de consommation  (FORDISME).

Le temps de travail est en même temps réduit de 9-10 h à 8 h par jour, puis dans les années vingt de 6 à 5 jours par semaine.

 

Une automobile sur deux aux États-Unis est une Model T dans les années vingt et 60% des voitures sont des Ford.

 Quinze millions d'exemplaires seront fabriqués au total en 1926, alors que 400 000 voitures étaient produites dans l'Europe entière en 1913 :

 Ford réalise la moitié de la production mondiale.

Le personnage devient célèbre en quelques années, il inspire les écrivains comme Aldous Huxley dans « Le Meilleur des Mondes » (Brave New World) en 1932,

suscite l'admiration de Lénine, donne son nom à un nouveau type de société, le fordisme,

et est classé par des étudiants comme le troisième grand homme de l'histoire, après Jésus et Napoléon.

 

Tableau 9  Nombre de voitures produites et prix chez Ford

 

1907-

1908

1908-

1909

1909-1910

1911-1912

1913-1914

1915-1916

1916-1917

Production

6 398

10 607

18 664

78 440

248 307

472 350

730 041

Prix

$ 2 800

850

950

690

550

440

360

 

   La nouvelle industrie contribue au redémarrage économique de la période au fur et à mesure de l'élargissement de sa diffusion :

 « Aucun autre produit n'a donné une moisson aussi riche de liaisons en amont et en aval » (Landes).

 

Par exemple, la production d'aluminium passe de 360t en France en 1895 à 13 483t en 1913. Mais les secteurs de l'acier, du bois, du caoutchouc, des produits électriques, des peintures et du plastique y trouvent aussi des débouchés croissants.

 À cela il faut ajouter le développement de tous les services liés : assurance, garages, location, stationnement, écoles de conduite, tourisme, banques, adaptation des routes, régulation étatique, etc.

 

   Dans le domaine de l'aviation, la France a un quasi monopole pour la construction jusqu'en 1914, malgré le succès des frères Wilbur et Orville Wright en Caroline du Nord en 1903 (premier vol homologué sur un biplan équipé d'un moteur à essence, après le demi-échec de Clément Ader et son Éole propulsé par la vapeur en 1890).

 

 Cette prééminence française est liée à l'avance automobile. Les mêmes techniques sont utilisées, les mêmes firmes (de Dion-Bouton, Renault, Darracq, Mors) produisent à la fois des automobiles et des aéroplanes.

 

Les principales avancées techniques, exploits, premières et records sont réalisées en France. Le Brésilien Santos-Dumont y multiplie les vols, Blériot traverse la Manche sur un monoplan en 1909 et Roland Garros la Méditerranée en 1912.

 

 Les dirigeables ou zeppelins (d'après leur promoteur, von Zeppelin), plus légers que l'air, se développeront en parallèle à partir de 1900, jusqu'à la catastrophe du Hindenburg en 1930 qui marque le triomphe définitif de l'avion.

 

Industrie du pétrole, XXe siècle, enjeux diplomatiques et stratégiques

 

2.3. Industries chimiques

 

   La caractéristique essentielle de la chimie est l'éventail extrêmement large de ses applications : des explosifs aux colorants et peintures, des films et pellicules aux fertilisants, des textiles artificiels (rayonne, viscose) à la pharmacie et aux parfums, des industries métallurgiques aux cimenteries.

 

L'Allemagne est le pays leader dans la chimie. Justus von Liebig dès 1840 élabore dans ses laboratoires de Giessen les premiers engrais artificiels développés ensuite avec les phosphates et nitrates.

 

Carl Duisberg de la firme Bayer, découvre des colorants synthétiques nouveaux dans les années 1880 élaborés depuis le goudron de la houille, avant de lancer par la suite sa propre entreprise, I.G. Farben.

 

 La firme BASF (Badische Anilin und Soda Fabrik) multiplie les découvertes de teintes artificielles et aussi d'explosifs à partir des nitrates.

 

Le plus important, la nitroglycérine, est cependant mise au point par l'Italien A. Sobrero en 1847. Elle est transformée en dynamite par le Suédois A. Nobel en 1866 : un mélange à base de nitroglycérine, mais moins dangereux à manier. La dynamite fait la fortune des Nobel à une époque de construction générale d'infrastructures : « si jamais il y eut une invention labor-saving, ce fut celle-là ».

 

 

 Les premières formes de plastique y sont également nées : le celluloïd (1869) et la bakélite, grâce à L. Baekeland (1907).

 En Allemagne, la firme Bayer élabore le thermoplastique en 1872, produit à partir de la houille.

 

De nombreux médicaments chimiques sont développés : la quinine contre le paludisme, le chloroforme et d'autres anesthésiants, l'aspirine surtout, mise au point par F. Hoffman de chez Bayer en 1899.

 

 

 

2.4. Divers

 

   Les inventions du XIXe et du début du XXe siècle sont tellement nombreuses qu'on ne peut en donner que quelques exemples rapides (plus de 40 000 brevets sont délivrés chaque année aux États-Unis dans les années qui précèdent la Première Guerre mondiale) :

 

 

— La photo est inventée en 1826 par Nicéphore Niepce associé à Jacques Daguerre, mais le premier appareil pour le grand public (Kodak) ne sera disponible qu'en 1888 grâce à G. Eastman. Le cinéma est inventé par Thomas Edison avec le kinétoscope en 1889, et perfectionné par Louis Lumière à Lyon en 1894, assisté de son frère Auguste. La première projection dans une salle publique a lieu à Paris le 28 décembre 1895. La France est le premier producteur de films jusqu'en 1914, avec 90% du marché mondial ! Le cinéma annonce le développement des loisirs en tant que nouvelle activité économique. Un autre indice de cette évolution est le rôle croissant du sport : les jeux olympiques reprennent en 1896.

 

— La première machine à coudre est celle de Barthélémy Thimonnier en 1830 ; elle sera détruite par les tailleurs parisiens. L'idée est reprise par l'Américain Elias Howe (1846), puis perfectionnée (pédale) et fabriquée par Isaac Merrit Singer en 1852. Le principe en est adapté depuis les tissus vers la fabrication de tapis et de chaussures. C'est la dernière étape de la mécanisation du textile qui entraîne une multiplication par six de la productivité des tailleurs. Une invention qui permet la poursuite du travail décentralisé à domicile : de 2200 machines aux États-Unis en 1853, on passera à 500 000 dès 1870 (Mokyr, 1990).

 

— La presse rotative est mise au point par R. Hoe à Philadelphie en 1846 ; elle utilise des bobines de papier au lieu de feuilles, ce qui accélère l'impression. Ottmar Mergenthaler construit en 1886 aux États-Unis le linotype qui permet la mécanisation de la composition des textes en utilisant des lignes de plomb à la place de caractères séparés.

 

— Le lait et d'autres aliments comme les soupes ou les œufs sont mis en poudre en 1850 par Gail Borden, ce qui permet d'alimenter les troupes du Nord pendant la guerre de Sécession.

 

— Louis Pasteur découvre le rôle des microbes dans les infections. Il préconise la stérilisation et met au point divers vaccins dont celui contre la rage en 1885. Robert Koch en Allemagne identifie en 1882 le bacille de la tuberculose, qui ne pourra cependant être soignée qu'après 1945 et les antibiotiques. De façon générale, l'idée que les maladies sont provoquées par des organismes vivants contre lesquels on peut lutter se répand dans les trois dernières décennies du XIXe siècle, ce qui donne naissance à la bactériologie moderne et aux méthodes d'immunisation et de guérison. Les bacilles de la diphtérie, de la peste, du tétanos et de la typhoïde sont ainsi identifiés, des sérums et des vaccins mis au point au début du XXe siècle. La chirurgie progresse également avec les anesthésiants comme le choroforme et les antiseptiques (Joseph Lister est le premier à les utiliser en Angleterre) qui permettent d'éviter les cas de gangrène fréquents jusque là après les opérations (sur 13 000 amputations à la suite de la guerre de 1870, 10 000 avaient abouti à la mort, Joll, 1990).

 

L'hygiène progresse partout, dans les hôpitaux dans la vie quotidienne ; du lait stérilisé est distribué aux nourrissons, de l'eau potable est mise à la disposition de la population comme dans le cas des fontaines Wallace en 1872 à Paris ; les water-closets modernes sont mis au point par l'Anglais Grapper en 1900 et équipent pour les foyers.

 

— Le fil de fer barbelé est inventé en Illinois par Michael Kelly en 1868.

 

— La bicyclette moderne à chaîne propulsive n'est réalisée qu'en 1869 par Guilmet et Meyer, et perfectionnée en 1880 par Harry Lawson (selle et pédalier entre les roues), puis en 1885 par John Starley à Coventry (deux roues de même taille).

 

— La machine à écrire de Christopher Sholes à Milwaukee est fabriquée par Remington en 1874.

 

— Le phonographe est inventé par Charles Cros et perfectionné par Thomas Edison en 1877. Celui-ci, qui "veut faire entrer le grand opéra chez l'honnête ouvrier", réussira à vendre 20 millions de disques jusqu'en 1906 (ibid.).

 

— Grâce à l'électrolyse (1885), de nouveaux métaux comme le nickel et surtout l'aluminium sont utilisés de façon croissante. L'électrométallurgie se développe avec des applications multiples dans les industries automobile ou aéronautique.

 

— Dans le domaine de la construction et des travaux publics, le fer et l'acier symbolisent cet âge de l'industrie triomphante. Gustave Eiffel (1832-1923) se fait connaître en construisant un pont métallique pour le chemin de fer à Bordeaux, plus tard il édifie le viaduc de Garabit (1882) et sa tour en fer pour l'Exposition universelle (1889).

 

— Wilhelm Conrad Röntgen (1845-1923) met au point en 1895 les rayons X et les premières radiographies des os. Antoine Béclère (1856-1939) développe la radiologie et la radiothérapie.

 

— Enfin, des "progrès" sont également réalisés dans les armes qui vont faciliter les conquêtes impérialistes : la mitrailleuse est inventée en 1883, tandis qu'apparaissent pendant la guerre civile américaine les cuirassés et les sous-marins, et les premiers tanks au début du XXe siècle.

 

 

3. La concentration et l'organisation des entreprises

 

3.1. La concentration

 

   La concentration des entreprises est un phénomène commun aux pays industriels à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, même si elle prend une ampleur plus grande en Allemagne et surtout aux États-Unis avec leurs fameux Konzern, Kartell (cartels) et autres trusts.

 

Des activités qui deviennent traditionnelles avec la deuxième révolution industrielle, comme le bois, le mobilier, l'édition, le vêtement, la chaussure, le cuir ou les articles métalliques, rassemblent l'essentiel des PMI,

 

 tandis que les activités industrielles modernes comme la chimie, la mécanique, le transport, les mines, le pétrole, le ciment, le papier, la sidérurgie ou les métaux non ferreux, mais aussi le caoutchouc, sont concentrées dans de grandes entreprises;.

 

   C'est aux États-Unis que le processus est allé le plus loin, même si Thyssen, Krupp ou Siemens sont des géants à l'échelle européenne, ils ne peuvent rivaliser avec l'US Steel, Standard Oil of New Jersey (Rockefeller) ou General Electric en effectifs, volume de production, ventes ou actifs.

 

  Les trusts américains contrôlent à la fin du siècle 50 % de la production textile du pays, 54 % de la verrerie, 60 % du papier, 77 % des métaux non ferreux, 81 % de la chimie, 84 % de la sidérurgie et 85 % du pétrole.

 

 En 1860, 19 sociétés fabriquaient des locomotives, mais en 1900 deux entreprises seulement contrôlent le marché.

 

 La production de biscuits et autres produits alimentaires passe dans le même temps d'un éparpillement de petites entreprises à une firme géante (RJR Nabisco - National Biscuit Company) avec 90 % de la production.

 

 L'American Tobacco Company détient les trois quarts de son marché, et des parts comparables sont constatées pour bien d'autres comme la McCormick Harvester Cy, la United States Steel Corporation, l'American Sugar Refining Company ou l'American Smelting and Refining Cy.

 

 

   Les formes de la concentration ont été bien analysées par les économistes : à la concentration verticale qui concerne une filière intégrée depuis la matière première jusqu'au produit fini et aux services liés (ex. les Konzern comme Krupp, Stinnes ou Thyssen),

 

 

s'oppose la concentration horizontale qui rassemble le maximum de firmes fabriquant le même produit (ex. les trusts américains comme l'US Steel de Carnegie et Morgan pour l'acier, General Electric et Westinghouse dans le matériel électrique, la Standard Oil de Rockefeller pour le pétrole ;

 ou encore les cartels en Allemagne).

 

Les pays les moins ouverts (les plus protectionnistes), les moins adeptes du libre-échange, qui sont les pays où la concentration a été poussée le plus loin : USA et Allemagne.

 

L'emprise des grandes firmes dépasse également les frontières et on assiste à l'apparition des premières firmes multinationales autour de 1900 : Solvay, Nobel, Lever, Cockerill, Standard Oil of New Jersey, United Fruit, Gillette et bien d'autres ont des implantations multiples à l'étranger et ne diffèrent guère des firmes géantes actuelles.

 

 

   Au plan juridique, lorsque les entreprises restent indépendantes et qu'elles passent des accords sur les prix et les marchés pour éviter de se concurrencer ou se répartissent les investissements, la production et les profits, on parle d'ententes ou de comptoirs en France, de pools dans les pays anglo-saxons, et de cartels en Allemagne. Par exemple, dans ce dernier pays qui est leur terre d'élection, un cartel houiller contrôle 99 % de la production du bassin rhénan en 1903.

 

 

 Quand les entreprises fusionnent et perdent donc leur indépendance, on a affaire à des trusts, Konzern ou conglomérats, chapeautés par une société mère ou holding.

 

 

 

Trust, holding, conglomérat, cartel, Konzern : définitions

 

Trust : arrangement légal selon lequel les actifs d'une personne ou d'un groupe sont placés sous la garde de trustees (personnes de confiance) qui agissent dans l'intérêt des propriétaires. Le mot prend à la fin du XIXe aux États-Unis le sens plus général d'entreprise géante tendant au monopole. La Standard Oil de Rockefeller est le premier trust de ce type en 1882.

 

Holding : société qui en contrôle plusieurs autres par la possession d'une part suffisante du capital. Elle peut regrouper les activités de gestion, de finance, de marketing, en laissant une grande autonomie aux filiales, notamment en matière d'investissements.

 

Conglomérat : firme se composant de la société holding et de ses filiales. La diversification des activités, même non complémentaires, caractérise le conglomérat. Sa croissance se réalise par fusions et prises de participation plutôt que par l'accroissement de la production et des ventes internes.

 

Cartel : entente horizontale formelle entre firmes sur un marché oligopolistique pour coopérer sur les prix, les parts de marché, la production, les investissements, de façon à réduire la concurrence et maintenir les profits. Les firmes gardent leur indépendance mais le cartel aboutit à un monopole de fait.

 

Konzern : groupement vertical d'entreprises contrôlant la totalité d'une filière de production. Ce type d'entreprise né en Allemagne peut être illustré par les firmes sidérurgiques Krupp ou Thyssen.

 

   On passe ainsi d'un capitalisme de petites unités dans la période 1750-1850, à un capitalisme de grandes unités à tendance monopolistique ou oligopolistique à la fin du XIXe siècle.

 

CONCURRENCE ?

 

 Mais cela ne signifie pas nécessairement une réduction de la concurrence puisque, dans la première moitié du XIXe, les régions restent relativement isolées et le marché n'est pas vraiment national. L'insuffisance des transports laisse subsister nombre de petits monopoles locaux.

 

Cette fragmentation des marchés est cassée par les chemins de fer qui entraînent la formation de vastes espaces nationaux. La diffusion dans toutes les régions de produits fabriqués en masse par les grandes firmes joue dans le même sens, l'extension du marché.

 

  L'ouverture des frontières en 1860, aboutit même à la création de marchés internationaux en Europe.

 

 Ainsi, paradoxalement, la concurrence est accrue et non réduite pendant la  phase de concentration. Mais elle se déroule à un niveau plus élevé, elle passe du niveau local, au niveau national et bientôt mondial.

 

 

La lutte acharnée, au couteau — cutthroat competition — que se livrent les firmes géantes américaines à la fin du siècle, témoigne que l'ère des trusts n'est pas celle de monopoles endormis sur un marché protégé. Les guerres de prix, les faillites spectaculaires, les fusions et rachats dramatiques caractérisent cette période.

 

 Sous l'effet des économies d'échelle et des progrès technique, les prix baissent à long terme dans les secteurs contrôlés par les trusts :

 

 la tonne de rails en acier voit son coût baisser de 100$ en 1870 à 12$ à la fin du siècle,

le gallon de pétrole voit son prix divisé par trois lorsque la SO de Rockefeller regroupe les activités indépendantes dans les années 1880,

 un colorant chimique allemand passe de 200 marks le kilo en 1870 à 9 en 1886... .

 

 

Causes

 

1)   Pour éviter les effets ruineux de cette concurrence les grandes firmes vont être incitées à s'entendre, à former des accords, des pools ou des cartels, des trusts, suscitant ainsi la législation antitrust.

 

2)   Mais la concentration s'explique aussi par les contraintes techniques des nouvelles industries : les investissements sont énormes et il est impossible de les réaliser dans le cadre d'un atelier familial ; il faut produire sur une grande échelle pour réduire les coûts unitaires et financer les laboratoires de recherche.

 

3) Il y a également la nécessité d'affronter la concurrence sur un marché devenu mondial : seules les entreprises au dessus d'une certaine taille pourront établir un réseau international de ventes.

 

4) Elle s'explique enfin, comme Marx l'avait prévu et analysé, par les crises successives du capitalisme qui provoquent les faillites et le rachat d'entreprises, aboutissant à la formation de groupes industriels toujours plus puissants.

 

CONCENTRATION è LÉGISLATION ANTITRUST

 

Les lois antitrust aux États-Unis

   L'intervention étatique se renforce à la fin du XIXe siècle aux États-Unis, des États locaux vers le gouvernement fédéral, « de politiques d'incitation vers des politiques de contrôle ».

 

   En 1887, l'État fédéral utilise la constitution pour interdire les réglementations des États locaux faisant obstacle aux échanges inter-États et crée la première commission fédérale, la FICC (Federal Interstate Commerce Commission), chargée de veiller à la libre circulation et de réglementer les compagnies de chemin de fer.

 

En 1914, une Commission fédérale pour le commerce (FTC, Federal Trade Commission) est établie pour faire respecter la concurrence et définir les pratiques loyales dans les affaires.

 

 Enfin, une banque centrale est créée en 1914, le Federal Reserve System.

 

 Entre-temps, une législation antitrust a été mise en place.

 

 

Le sénateur de l'Ohio, John Sherman, dit que « seul le Congrès peut affronter les trusts, et si nous ne le faisons pas il y aura bientôt un trust dans chaque production, une seule entreprise pour fixer les prix de chaque bien ».

 

   Une loi est votée — le Sherman Act — en 1890, qui permet de mettre en prison, d'infliger de lourdes amendes à tout membre d'une entente en vue de restreindre le commerce (« restraint of trade »).

 

 Le Hepburn Act la renforce sous la présidence et l'impulsion de Theodore Roosevelt en 1906.

 

En 1911, après de longues poursuites lancées dès 1903 par Roosevelt, la Standard Oil est enfin dissoute et éclatée en 34 compagnies indépendantes par la Cour suprême.

 

   Une autre loi est passée en 1914 sous Woodrow Wilson, le Clayton Anti-Trust Act, pour freiner les fusions et les ententes de prix.

 

Bilan

 

 Mais la taille de nombreuses firmes continue à s'élever, en l'absence même de concentration, du fait d'une croissance propre, liée au succès de leur gestion, à un effet de poids initial et au dynamisme de leur marché. Contre ce type de domination, les lois anti-trust ne pouvaient rien.

 

   En fin de compte, elles n'ont guère empêché la concentration de l'industrie américaine : en 1985 selon Heilbroner et Thurow, 70 % des ventes était réalisé par des firmes représentant seulement un millième de l'effectif total des entreprises industrielles;.

 

Mais elles ont permis malgré tout de contrôler les collusions à l'avantage des consommateurs et de défendre les entreprises indépendantes.

 

Leur imitation à l'étranger, par exemple par l'Union européenne, montre que leur effet a été globalement favorable.

 

   De toute façon, aucun groupe dominant n'a pu conserver longtemps une situation de monopole aux États-Unis. Le capitalisme américain a suscité des concurrents aux groupes les plus concentrés : « Standard Oil, US Steel, American Can, International Harvester, IBM, qui contrôlaient au moment de leur formation, bien plus de la moitié de la production de leur branche, ont vu leur part de marché diminuer sensiblement les années suivantes ».

Plus proche de nous, le cas de IBM, dominant dans les années soixante, pourrait être ajouté à la liste. Les ressorts spontanés de la concurrence semblent donc plus efficaces que la législation anti-trusts contre les monopoles.

 

   Avec le temps, la législation antitrust est devenue de plus en plus complexe, un domaine réservé à des avocats financiers ou conseillers juridiques hyper spécialisés, devenu d'une « minutie absconse » (abstruse minutiae) bien au delà de la compréhension des citoyens ordinaires : « la plupart des étudiants en microéconomie ou en droit des affaires ont un chapitre sur la législation antitrust, mais ils en sortent avec un sentiment de confusion encore plus élevé que lorsqu'ils le commencent »...

 

 

 

3.2. L'organisation des entreprises

 

   La concentration s'accompagne d'une rationalisation des méthodes de travail et de gestion, c'est-à-dire de toute l'organisation de l'entreprise.

 

La gestion scientifique permet de réduire les gaspillages, les comportements opportunistes, les coûts et d'accroître l'efficacité générale de l'entreprise.

 

Des praticiens et ingénieurs comme Henri Fayol (1841-1925) en France, et surtout Frederick Winslow Taylor (1856-1915) aux États-Unis, promoteur de l' « organisation scientifique du travail » (OST, ou Scientific Management, appelée aussi en Europe « taylorisme »), connaissent une renommée mondiale.

 

   Taylor va révolutionner les modes d'organisation des entreprises, en « transformant l'ouvrier en un automate fonctionnant au même rythme que sa machine ».

Temps modernes, Chaplin

 

 On imagine volontiers les usines du XIXe siècle comme semblables à nos usines du XXe, gérées rationnellement, organisées de façon efficace, propres et bien entretenues. Rien de tout cela, dans les fabriques des années 1830, 1850 ou 1870 règnent le laisser-aller, la désorganisation et la saleté :

 

« Une atmosphère de désordre, sans comparaison avec l'usine taylorisée du XXe siècle, un bruit permanent et varié, l'atelier parfois glacial l'hiver et torride l'été, l'huile des machines maculant les vêtements, peu d'aération, rarement un vestiaire, une cantine et des « commodités »... ».

 

   Taylor publie ses Principles of Scientific Management en 1911 où il explique comment les tâches doivent être chronométrées, fragmentées et parcellisées pour accroître la productivité. Les premières expériences sont pratiquées par la Bethlehem Steel, des temps standards pour une tâche standard sont fixés et doivent être respectés, sous peine de renvoi.

 

 Les réactions syndicales sont vives, on dénonce l'"organisation du surmenage" et la transformation du travailleur en "automate crétinisé" ; c'est "l'ouvrier-machine, abêti, avili, assujetti, (qui) n'éprouve plus que dégoût et ennui devant un travail vide";.

 

   Le livre de Taylor est traduit en français dès 1912, les usines Berliet et Renault adoptent les premières ses principes, ce qui provoque des grèves en 1913.

 

 Mais la guerre facilite son adoption, parce que la lutte des classes passe au second plan et aussi parce que les femmes qui remplacent alors les hommes sont moins revendicatives.

 

   Une autre transformation importante de la fin du siècle, dans le domaine de la gestion des firmes, est l'apparition d'une nouvelle classe de dirigeants professionnels, non détenteurs du capital, non liés aux familles possédantes. Ce sont les fameux managers qui constituent une caractéristique essentielle des capitalismes américain, allemand ou japonais (moins des versions anglaise et française plus attachées au cadre familial).

 

Cette séparation entre actionnaires et dirigeants a introduit une vision à long terme dans la gestion, les managers voyant avant tout l'intérêt de la firme plutôt que celui des propriétaires attendant les dividendes. Ils vont prendre les décisions capitales en matière d'investissement et de stratégie d'entreprise de façon de plus en plus indépendante des actionnaires. La dispersion croissante de ceux-ci explique leur difficulté à exercer un contrôle sur ces décisions.

 

TECHNOSTRUCTURE    (John Kenneth Galbraith)

 

è 1980

 

Capitalisme actionnarial, ou capitalisme patrimonial : prise du pouvoir par les actionnaires

 

 

 

 

   L'avènement de la production de masse commence aux États-Unis au début du XXe siècle avec le travail à la chaîne (assembly line) et la standardisation des pièces chez Ford.

 

   En même temps que la production de masse, apparaît le marketing de masse, la vente par des moyens de promotion et de distribution modernes à des millions de consommateurs dont le pouvoir d'achat a augmenté grâce à des hausses massives de salaire, là aussi initiées par Ford : la consommation de masse.

 

SOCIÉTÉ DE CONSOMMATION  1920 (USA), 1950 (Europe occid. et Japon)

 

 

DÉSÉQUILIBRE  ENTRE  PRODUCTION   ET  CONSOMMATION

 

SURPRODUCTION   1929

 

 

Conclusion

 

  Le travail organisé de façon scientifique, la production en série, la concentration des firmes, tout cela permet une rationalisation des usines, la réduction de la durée du travail et l'accroissement des salaires réels.

 

 Mais ces progrès n'auraient pas été possibles sans les luttes et des mouvements ouvriers. La fin du XIXe et le début du XXe siècle correspondent aussi à la grande période des conquêtes sociales et à l'affirmation de l'idéal socialiste.

 

 C'est également l'âge des débuts de la mondialisation, du colonialisme et d'un impérialisme triomphant et encore sûr de lui.

 

 

 

 

 

 

Résumé du chapitre 3

   La fin du siècle est à la fois marquée par une longue dépression (1873-1896) et par un renouveau économique : la seconde révolution industrielle à l'origine de ce qu'on a appelé "la Belle Époque (1896-1914). La crise se caractérise par une baisse continue des prix, entrecoupée de faillites bancaires et industrielles et de paniques financières et boursières (1873, 1882, 1884, 1890, 1893), un effondrement agricole en Europe avec les difficultés des viticulteurs (phylloxéra) et des céréaliers (concurrence américaine), tout cela favorisant un retour au protectionnisme. Des aspects plus positifs ressortent également comme le renouveau technologique (électricité, chimie, pétrole, automobile), la croissance qui continue à long terme, à la fois des productions intérieures et des échanges internationaux, quoiqu'à un rythme évidemment plus lent, et surtout la progression des salaires réels, favorisée par la baisse des prix et par la montée en puissance des mouvements ouvriers (voir chap. suivant).

   Le capitalisme industriel connaît une expansion cyclique au XIXe et dans la première partie du XXe siècle : on distingue les cycles longs de prix découverts par l'économiste russe Kondratief en 1926 et expliqués par Schumpeter grâce à des facteurs technologiques, et les cycles de la production, à moyen terme, 7-11 ans (Juglar) et court terme, 3-4 ans (Kitchin) causés par les variations de l'investissement et la tendance à la surproduction. On passe ainsi des crises d'ancien régime et intermédiaires (jusqu'en 1847) qui ont des causes climatiques et donc agricoles, aux crises capitalistes modernes purement industrielles. Les pays occidentaux traversent également une phase de concentration des entreprises à la fin du siècle, qui prend diverses formes : horizontale sur un type de produit (ex. trusts américains, cartels allemands), verticale sur une filière depuis la matière première jusqu'au produit transformé et les services liés (ex. Konzern en Allemagne), ou encore éclatée avec les conglomérats et les premières firmes multinationales.

 

 

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