La conception traditionnelle est celle d'un pays en retard, conservateur, hostile au marché et à l'innovation, à l'économie et à la démographie peu dynamiques.
Trois idées fortement ancrées dans les pays anglo-saxons et protestants peuvent être ajoutées :
– tout d'abord la tendance à la stagnation caractéristique de l'Europe catholique (de même qu'en Espagne, Italie, Irlande) après la Réforme, selon la conception weberienne ;
Max Weber, 1905, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme
– ensuite le faible progrès des droits individuels et de la liberté d'initiative dans un pays longtemps dominé par la monarchie absolue où un gouvernement tout puissant exerce une sorte de despotisme théocratique ;
– enfin le caractère moins ouvert et maritime d'une puissance terrienne, tournée vers le continent et non le grand large.
En bref, la France serait la Chine de l'Europe, « l'Empire du Milieu » selon Bairoch, peuplée, continentale, dominée par une caste de mandarins, avec une mentalité frileuse de bas de laine.
Tout cela lui aurait valu ses déboires politiques, diplomatiques et militaires du XIXe et de la première partie du XXe siècle.
Dans un article de la revue des cliométriciens, Richard Roehl prend le contre-pied de toutes ces certitudes : il fait de la France le premier pays avec l'Angleterre à être passé par une révolution industrielle !
Ce qu'on considère habituellement comme des obstacles au développement, dans la France de la première moitié du XIXe siècle (l'entreprise familiale, le poids élevé des industries rurales, l'absence de banques modernes, le désintérêt de l'État, l'agriculture de petites parcelles, etc.), doit être vu paradoxalement comme des indices de l'avance française.
En effet tous ces traits sont propres à l'économie du XVIIIe siècle qui a été le théâtre de la première industrialisation, et la France est le pays qui les conserve le plus, car c'est dans ce contexte qu'elle s'est industrialisée.
Ces éléments ne deviennent des freins au développement que par la suite, dans un contexte différent. À l'origine, ils étaient les conditions mêmes du développement économique. Autrement dit la France est un pays initiateur, et elle paye au XIXe siècle le prix de cette avance, en conservant des structures qui deviennent archaïques, mais qui au départ étaient les plus avancées.
L'auteur procède par « contraposition », c'est-à-dire par la négation du contraire d'une vérité, ce qui permet d'obtenir une autre vérité.
Ainsi, dans le cas des latecomers, on constate, d'après le modèle d’Alexandre Gerschenkron, la présence d'un certain nombre d'éléments tels l'accélération de la croissance, l'imitation des techniques étrangères, une échelle de production élevée, l'action volontaire de l'État, etc.
Ces divers points s'appliqueront d'autant moins qu'on prend les cas opposés, c'est-à-dire ceux des premiers pays à être partis dans la course à l'industrialisation, et en particulier la France au XVIIIe siècle. En les retournant donc, on trouve une liste de caractères que présentent les early starters :
– un taux de croissance industriel assez faible mais positif et continu : C'est le cas de la France comme de l'Angleterre qui sont tous deux des pays industrialisés à la fin du XVIIe siècle.
– Une part importante des industries légères et de biens de consommation courants : ce point correspond particulièrement bien au cas français.
– Une échelle de production réduite, attestée en France par la persistance de l'entreprise familiale bien mieux adaptée aux premières formes d'industrie, et le retard de la concentration industrielle jusqu'au XXe siècle, obstacle au dynamisme de l'économie.
– Une technologie et du capital d'origine domestique : ce qui n'est plus à démontrer dans le cas de la France au XVIIIe siècle.
– Un rôle faible des banques, de l'État et de ses dépenses ; là aussi le cas de la France au XVIIIe siècle correspond très bien. Les banques et l'État n'auront une place importante dans le développement que sous le second Empire (1850-1870).
– Une absence d'idéologies relatives à l'industrialisation. Les physiocrates pensaient même qu'elle n'était pas productive, et il faudra là aussi attendre Napoléon III pour voir les industrialistes saint-simoniens arriver au pouvoir et appliquer leurs conceptions.
– Une contribution importante du secteur agricole et de ses progrès de productivité.
– Une progression des niveaux de vie plutôt lente : en France, à la différence des latecomers, on ne peut constater une période courte de décollage où l'économie doit investir massivement et demander des sacrifices à la population.
La France a connu une révolution industrielle, mais sans décollage.
Comme Roehl, O'Brien et Keyder (1975) soutiennent que l'industrialisation en France a simplement eu lieu selon une tradition légale, politique et culturelle différente.
Pour ces auteurs, la production par tête est plus importante en France qu'en Grande-Bretagne à la fin du XVIIIe siècle et elle reste la plus élevée sur le continent à la veille de la première guerre mondiale.
De même la productivité du travail dans l'industrie en France dépasse celle de l'Angleterre.
L'avance anglaise se limite à quelques secteurs comme le fer, l'acier, les mines, la construction mécanique et navale ; dans les autres la France trouve des solutions mieux adaptées à son milieu :
L'industrie française qui n'avait pas les avantages géologiques britanniques, a excellé à l'autre bout de la chaîne des processus industriels, où son abondance traditionnelle de main d'œuvre qualifiée pouvait être utilisée pour garder et trouver des marchés pour les biens manufacturés de haute qualité, tant dans la conception que la finition.
On pourrait ajouter ici que la France s'est singularisée en utilisant dans le domaine énergétique des filières techniques autonomes : le développement de la turbine hydraulique à la place du charbon et de la vapeur, par exemple.
Ils considèrent en outre que la France a mieux évité que l'Angleterre les inégalités et les misères liées à l'industrialisation et à l'urbanisation, qu'elle aurait réussi sa modernisation à un moindre coût social, qu'elle a su garder une qualité de vie campagnarde, pauvre et parfois très dure, mais préférable tout compte fait aux horreurs mécanisées de la ville polluée et des fabriques-bagnes de l’Angleterre.
Voies différentes pour s’industrialiser, modèles nationaux différents
Résultat : situation de pays développé, comparable en France et en Angleterre.
La France est un pays rural au XVIIIe siècle (80 à 85 % de la population) où la hiérarchie sociale repose avant tout sur la propriété foncière.
Si le servage a presque partout disparu, les terres restent le plus souvent la propriété du seigneur, de l'Église ou du roi.
Mais les paysans sont libres, ils ont parfois acquis le droit de propriété et peuvent transmettre leurs biens.
Ils sont cependant soumis à de multiples droits féodaux en argent (impôts), en nature (part de la récolte), en travail (corvée), qui viennent encore du Moyen Âge.
Ces redevances sont la conséquence de la superposition des droits de propriété :
– l'État royal perçoit les impôts comme la taille ou le vingtième ;
– le seigneur reçoit des taxes et autres redevances ;
– l'Église prélève la dîme.
Le paysan, le laboureur misérable et écrasé par un système fiscal arbitraire et injuste, est encore tel que La Bruyère l'a décrit au XVIIe siècle dans les Caractères :
Les techniques sont toujours rudimentaires et l'élevage peu développé, à la différence de l'Angleterre, et par manque de fumier, la jachère et les pratiques d'assolement triennal, et même biennal au sud, restent une nécessité.
C'est encore une agriculture peu spécialisée, et parfois localement une agriculture de subsistance, car la commercialisation des produits est entravée par l'absence de marché national, la compartimentation des provinces et les réglementations de prix.
« 80 % de la population arrive à peine, au prix d'un labeur acharné, à se nourrir et à nourrir 20 % de privilégiés, de bourgeois et d'artisans. » (Soboul)
Cependant le pays est le plus vaste d'Europe occidentale et il y a des terres exploitées par une minorité de grands propriétaires éclairés, de fermiers bourgeois ou aristocrates qui commencent à introduire les techniques nouvelles.
L'accent mis par les physiocrates sur les questions agricoles est significatif du renouveau dans ce domaine. Comme en Angleterre, la culture est à la mode : des journaux et des sociétés d'agriculture se multiplient, plus de mille ouvrages d'agronomie sont publiés au XVIIIe siècle contre une centaine au XVIIe !
Une lutte acharnée entre les libéraux et les mercantilistes interventionnistes se déroule pendant tout le XVIIIe siècle à propos de la circulation et du prix des céréales (grains). Elle se termine à l'avantage des premiers, favorisés par l'évolution des idées vers le libéralisme économique.
On passe ainsi d'un système où l'État fixe le prix du blé à des niveaux faibles pour approvisionner les villes à des conditions avantageuses et éviter que les pauvres soient éliminés du marché, où la circulation des grains est entravée par les péages et des prohibitions afin d'empêcher les pénuries locales et préserver les stocks, où les exportations sont interdites ou limitées pour les mêmes raisons,
à un système progressif de liberté économique. La liberté du commerce interne, c'est-à-dire la libre circulation des grains entre les provinces, est réalisée malgré des retours en arrière et l'opposition des parlements, par les lois de 1754, 1763 et 1774 ; celle du commerce extérieur, en fait la liberté d'exporter, en 1764, 1775 et 1787.
La monarchie est acquise aux idées libérales car celles-ci émanent des élites intellectuelles et des cercles du pouvoir (Quesnay
est chirurgien de Louis XV).
La logique libérale est exprimée d'abord par Boisguillebert au début du siècle, puis par quelques précurseurs (Melon, Herbert, Dupin) et enfin par les physiocrates
comme Pierre Dupont de Nemours, Le Mercier de la Rivière, Vincent de Gournay, Mirabeau et bien sûr François Quesnay qui précise sa conception du libéralisme économique dans l'article GRAINS de l'Encyclopédie en 1757.
On les appelle les « revolarisateurs » car ils sont partisans de laisser les prix des grains s'élever pour obtenir les bons prix, car comme le dit Quesnay :
Une nation qui fait baisser le prix des denrées... se détruit de toute part.
Il s'agit de mieux rémunérer les producteurs et donc les inciter à accroître la production. C'est un paradigme différent qui apparaît, celui du marché : les restrictions de prix n'ont pour effet que de restreindre la production et vont donc à l'encontre du but recherché, c'est-à-dire la disparition des disettes.
En outre il faut supprimer les entraves à la circulation et à l'exportation du blé, car ainsi on établira un vaste réseau d'échanges où les prix s'aligneront sur le niveau international, ce qui atténuera les fluctuations et favorisera la production.
La libération des prix et du commerce permettra de supprimer par la croissance les possibilités de crise frumentaire (pénurie).
Mais ce paradoxe libéral, qui veut qu'en laissant les prix monter on réduira les risques de famine, est difficile à comprendre pour les contemporains.
Les régions du nord-ouest et de l'est sont les premières à se transformer : des édits de clôture, sur le modèle des enclosures acts de l'autre côté de la Manche, remettent en cause le système de l'open field, jugé partout inefficace et inadapté aux nouvelles pratiques.
Des grands propriétaires modernisent leurs exploitations, la jachère recule, la rotation des cultures et le développement de l'élevage s’installent çà et là.
Les provinces commencent à se spécialiser grâce à l'amélioration des transports et l'extension des échanges.
Il s'ensuit une baisse de la mortalité, en particulier infantile, et donc une croissance démographique. La population du pays passe de 21 à 28 millions d'habitants entre 1700 et 1790, soit une augmentation d'un tiers, tandis que la production agricole se serait élevée de 60 %, c'est-à-dire une hausse par tête d'environ 20 %.
La croissance de la production agricole s'accélère après 1750 et les historiens s'interrogent sur l'existence d'une révolution agricole dans cette période.
La France est au XVIIIe siècle, grâce à son poids démographique, la première puissance industrielle d'Europe, produisant 20 % de la production manufacturée totale du continent. On distingue l'industrie moderne émergente des industries traditionnelles, et parmi ces dernières :
– l'artisanat urbain c'est-à-dire les corporations, institutions sclérosées, en perte de vitesse... des castes héréditaires, que Turgot, alors Contrôleur des finances, tente de supprimer sans succès en 1776 ;
– les anciennes manufactures de Colbert, elles aussi peu progressives même si elles emploient un grand nombre d'ouvriers et sont incitées à se moderniser par l'État royal réformateur ;
– et enfin les industries rurales relevant de la proto-industrialisation (putting-out system).
La mécanisation de l'industrie française débute sous Louis XVI, à l'imitation de l'Angleterre. La première machine de Newcomen est installée à Passy
en 1726 pour élever l'eau, puis dans les mines d'Anzin dans le nord en 1737, pour assécher les galeries.
La machine à vapeur de Watt
est construite par Jacques-Constantin Périer à Chaillot en 1781. Avec son frère, il fonde la Compagnie des eaux pour approvisionner Paris grâce à des pompes actionnées par la nouvelle énergie, la vapeur.
Ignace de Wendel et William Wilkinson
(frère de John) appuyés par l'État français introduisent au Creusot, près de la Loire, la méthode de fonte au coke (1785).
Cette technique révolutionnaire ne représente cependant que 1 à 2 % de la production totale en 1789, contre 40 % en Grande-Bretagne, et se terminera par un échec pendant la Révolution.
Un réfugié jacobite anglais, John Holker, soutenu par l'administrateur Trudaine crée une entreprise de cotonnades à Rouen et une école de filature à Sens. Il introduit la spinning jenny en 1773, et 900 jennies seront en place dans le pays en 1789 (contre 20 000 en Angleterre).
La navette volante est utilisée dès 1747 ; le waterframe est adopté en 1780 (dix ans après, huit fabriques en sont équipées contre 200 outre-Manche) ; la mule jenny apparaît en 1788 à Amiens, puis à Montargis
et Orléans.
Dans d'autres secteurs les industriels français innovent comme Berthollet avec son procédé de blanchiment au chlore ou Oberkampf
(d'origine suisse) qui introduit une technique d'impression des tissus par cylindres mécaniques.Vaucanson
élabore des métiers à filer et à tisser la soie, ce dernier repris plus tard par Jacquard ; Leblanc fabrique une soude industrielle ; Chaptal réussit la fabrication de l'alun pour fixer les teintures et Vauquelin isole le chrome ; Girard construit un métier à filer le lin ; Appert découvre le procédé de conservation alimentaire...
Quelques précurseurs enfin annoncent les transports futurs : Cugnot, l'automobile (1771), Jouffroy d'Abbans, les navires à vapeur (1776), les Montgolfier
sont les premiers humains à quitter le sol en 1783...
La protection des inventeurs avec la création des brevets en 1767 stimule comme en Angleterre les innovations.
Les dernières années de l'Ancien Régime se caractérisent donc par une effervescence technique et une mécanisation rapide de l'industrie française : une percée bien visible, fondée sur une politique volontariste d'assimilation des techniques anglaises.
Le XVIIIe siècle voit un essor sans précédent du grand commerce maritime dans lequel la France et l'Angleterre sont les mieux placées en Europe. L'Europe elle-même représente les trois quarts du commerce mondial.
L'évolution des échanges extérieurs ne peut se comprendre indépendamment de la rivalité franco-britannique.
Le problème majeur de la France est l'absence de maîtrise de la mer. En période de paix les échanges n'en sont pas affectés, mais en temps de guerre ils sont interrompus ou fortement réduits, ce qui n'est pas le cas pour la Grande-Bretagne.
Les conflits seront donc beaucoup plus coûteux pour l'économie française et l'interruption des échanges coloniaux pendant près de deux décennies sous la Révolution et l'Empire se traduira par l'effondrement économique des régions concernées. Au XIXe siècle, le commerce atlantique français ne sera jamais vraiment rétabli à son niveau antérieur.
L'expansion du commerce extérieur français au XVIIIe peut être précisée en quelques chiffres. Il est multiplié par cinq en valeur entre 1715 et 1789, celui avec l'Europe l'est par quatre, et celui avec les colonies par dix. Le commerce colonial, qui est donc de loin le plus dynamique, dépasse le tiers des échanges en 1775.
En 1785, sur 732 navires affectés au grand commerce océanique, 640, c'est-à-dire 90 %, partent des quatre grands ports : Bordeaux
(254), Nantes (155), Marseille (122), Le Havre-Rouen (109).
Bordeaux
domine le commerce des îles, Marseille celui du Levant, Nantes le commerce triangulaire et Rouen le commerce européen et surtout nordique.
Ce sont aussi de grandes cités proches d'autres centres de consommation comme Paris, Toulouse, Tours
ou Lyon. Elles se trouvent également à l'embouchure ou à proximité des quatre grands fleuves du royaume, ce qui permet de prolonger le commerce maritime par un commerce fluvial vers l'amont.
La France est la deuxième puissance commerciale dans le monde à la fin du siècle, non loin de l'Angleterre, avec des échanges coloniaux s'élevant à 22 millions de livres en 1780 contre 23 millions pour la GB, et un tonnage marchand en 1786-87 d'environ 0,5 contre 0,7 million de tonneaux.
La part dans le commerce mondial est d'environ 12 % en 1780, comme celle de l'Angleterre. Le degré d'ouverture atteint 10 % contre 8 % au début du siècle, mais seulement 5 % ensuite pendant l'Empire du fait du blocus anglais.
La perle des échanges coloniaux est l'île de Haïti
ou Hispanolia, découverte par Colomb en 1492. Sous le nom de Saint-Domingue, cette possession représente à elle seule au XVIIIe siècle les 3/4 du commerce extérieur colonial français et devient le premier producteur mondial de sucre. C'est le produit-roi avec 7 000 tonnes exportées de Saint-Domingue en 1714 et 80 000 en 1789, suivi par le café, l'indigo, le tabac et le coton.
À elle seule Haïti exporte plus que les 13 colonies anglaises d'Amérique du Nord ensemble. Le nombre des esclaves accompagne cette évolution : il est multiplié par dix dans la même période.
Les arrière-pays des grands ports sont les régions les plus industrialisées de France au XVIIIe siècle : Aquitaine, vallée de la Seine, val de Loire, Provence-Languedoc. Le grand commerce a un rôle moteur et notamment des effets industrialisants assez clairs :
– il fournit des débouchés extérieurs pour l'agriculture et les industries locales : textiles, armes, verroterie, blés, vins et industries agro-alimentaires liées ;
– il exerce une demande sur les secteurs liés à l'armement maritime : chantiers navals, sidérurgie, voiles, bois, artisanats de précision et de luxe ;
– il favorise l'installation d'activités de transformation des matières premières importées : sucreries, raffineries, distilleries, tanneries, manufactures de tabac, etc.
– il stimule les contacts, la connaissance d'autres cultures, le transfert de nouvelles habitudes de consommation et de nouvelles techniques ;
– il entraîne un développement tertiaire qui ensuite rejaillit sur les activités industrielles : banques, assurances, transports...
– il permet de dégager des profits qui seront en partie réinvestis dans l'économie locale : constructions, infrastructures, lancement d'industries telles les sucreries, etc.
Le XVIIIe siècle se caractérise par une expansion monétaire due aux progrès du crédit, mais aussi à l'afflux de métaux précieux : argent des mines du Mexique dont la production passe de 230 tonnes par an dans les années 1720 à 560 tonnes dans les années 1790, et or du Minas Gerais au Brésil.
L'essentiel des finances de la monarchie, constitué par les impôts indirects (aides, gabelle, droits divers, tarifs douaniers), est affermé, c'est-à-dire que le roi confie le soin et les soucis de leur perception à des financiers (les fermiers généraux) en échange d'un versement forfaitaire.
Souvent issus de milieux populaires, ils font des fortunes rapides mais vulnérables, et sont détestés de la population, méprisés par les aristocrates.
Les principaux impôts directs (taille, capitation, vingtième), particulièrement iniques puisque les privilégiés en sont exemptés, sont prélevés par des agents du Trésor, les receveurs généraux.
À côté des finances publiques, les banques privées se multiplient au XVIIIe siècle (une vingtaine en 1700 à Paris, quatre fois plus à la veille de la Révolution). Elles ne sont pas réglementées et sont souvent protestantes (les huguenots n'ont pas accès aux fonctions publiques et pratiquent le prêt à intérêt sans restriction).
Le système de Law
John Law
(prononcé Lass en France), un économiste et financier écossais, a été considéré comme un précurseur des idées de Keynes par ses idées révolutionnaires sur le rôle actif de la monnaie.
Il propose au régent Philippe d'Orléans un vaste schéma monétaire pour redresser à la fois les finances publiques et l'économie du royaume, ruinées par les guerres désastreuses du roi soleil.
Le plan repose sur la création de monnaie fiduciaire sur une grande échelle avec l'idée que la monnaie ainsi créée va permettre de mettre en œuvre, par le crédit, le potentiel économique du royaume et des colonies.
Il fonde une banque privée, la Banque royale, qui peut recevoir des dépôts, escompter des effets et émettre des billets, au départ convertibles puis à cours forcé. La banque reçoit des privilèges et reprend en échange une partie de la dette publique.
Law lance la Compagnie du Mississipi, destinée à exploiter les ressources de la Louisiane et du Canada.
Law devient Contrôleur des finances du royaume en janvier 1720 à l'apogée de son « Système ». Le cours des actions de la Compagnie avait commencé à s'élever déclenchant une folie spéculative en 1719, entretenue par l'émission croissante de billets. Ceux-ci atteignent trois milliards de livres pour une encaisse de 500 millions en or... Le capital initial de la Compagnie, 312 millions de livres, atteignait 4 781 millions en novembre 1719 ! Des actions achetées 500 livres se revendaient 10 000 livres quelques mois plus tard.
De mauvaises nouvelles en provenance d'Amérique (le refus de l'Espagne d'ouvrir ses marchés) va entraîner l'éclatement de la bulle. Les ventes se précipitent et le cours des actions de la Compagnie s'effondre, en même temps qu'on réclame la conversion des billets de la Banque royale en pièces d’or. L'expérience se termine en effroyable banqueroute avec l'assaut des guichets, les émeutes et même une tuerie le 17 juillet 1720 (jour où la banque cesse ses remboursements).
La fortune scandaleuse de quelques uns, et la ruine de la plupart des autres, spéculateurs, épargnants et petit porteurs n'ayant pu vendre assez vite, l'inflation galopante causée par la création monétaire, mettent le pays au bord de la révolution.
Les billets sont interdits et la Banque fermée (nov./déc. 1720), tandis que Law ruiné doit s'enfuir à Bruxelles, puis en Angleterre.
Cette première et mauvaise expérience d'émission de monnaie fiduciaire va retarder l'utilisation de la monnaie papier en France.
Le système était proprement révolutionnaire, mais sans doute trop en avance sur son temps. John Law commit au moins deux erreurs majeures qui provoquèrent l'échec : la surestimation des possibilités économiques du Mississipi
et des bénéfices qu'on pouvait en attendre ; une émission de billets extravagante sans rapport avec les encaisses métalliques et qui ne pouvait que provoquer la panique dans un public non habitué à la monnaie papier.
La fin de l'Ancien Régime a été marquée par une tentative multiforme de modernisation de la part de l'État.
Il s'agit tout d'abord d'améliorer les infrastructures et notamment les routes (l'École des ponts et chaussées est créée en 1747) ;
de mettre en place des institutions favorables aux affaires comme la Bourse de Paris (1724) ou la Caisse d'Escompte (1776) ;
d'encourager les sciences et les innovations techniques avec la création des brevets, le versement de primes aux inventeurs et de subventions aux manufactures, l'attraction d'experts étrangers, le lancement de divers instituts ou d'expéditions scientifiques, tels les voyages de Bougainville et de La Pérouse...
Il s'agit ensuite de libéraliser l'économie.
Cette dernière volonté apparaît le plus nettement lors de l'avènement de Louis XVI en 1774 qui va régner sur un très grand pays, en fait la première puissance européenne et sans doute mondiale à l'époque. Il appelle les réformateurs au pouvoir en la personne de Turgot, proche des physiocrates.
Les philosophes sont enthousiastes comme Voltaire
qui s'écrie : Je crois qu'il faut songer à vivre !Condorcet, Dupont de Nemours entrent au gouvernement et les mesures prises pendant ce court passage aux affaires sont considérables. Elles auraient pu orienter le pays vers une révolution tranquille :
– rééquilibre des finances royales par de sévères économies ;
– libération de la circulation des grains dans le royaume en août 1774 ;
– création des Messageries royales en 1775 ;
– suppression des droits intérieurs entre provinces de janvier 1775 à janvier 1776 ;
– libération du commerce extérieur des grains en octobre 1775 ;
– suppression des corporations : l'édit du 12 mars 1776 supprime les associations, jurandes, confréries et communautés de maîtres et d'ouvriers ; il proclame la liberté d'exercer le métier de son choix, c'est-à-dire la liberté d'entreprise.
Les parlements et les corporations vont obtenir le départ de Turgot, et trois mois après, en août 1776, la restauration de leurs privilèges ;
– suppression de la corvée royale d'entretien des routes qui touchait les paysans, en 1776 ;
Faute d'une volonté politique suffisante, ces mesures furent abandonnées ou appliquées incomplètement, et Turgot
remplacé dès le mois de mai. Voltaire encore saluera son départ avec amertume : Nous avons fait un beau rêve, mais il a été trop court…
Le régime, incapable de se réformer et en proie à une grave crise économique à partir de 1784-1785, sera balayé par la Révolution.
La personnalité du roi compte pour beaucoup dans cet échec : de bonne volonté, mais manquant de volonté, il cède face à la coalition des mécontents. Louis XVI n'ose même pas signifier personnellement sa disgrâce à Turgot... À la veille de la Révolution, après quinze ans de règne, il semble que son métier l'ennuyait.
Cependant si les réformes structurelles ont fait défaut, les résultats économiques de l'Ancien Régime ont dans l'ensemble été favorables. La croissance a été plus forte qu'en Angleterre et par exemple l'industrie du coton a vu sa production augmenter de près de 4 % l'an, si bien qu'à la fin de la période elle arrive en seconde position derrière sa concurrente britannique et en représente environ les 2/3 (11 millions de livres d'importations de coton brut contre 18 en 1786).
Comme dans les autres pays européens, cette croissance est accompagnée d'un progrès démographique: la population
augmente de 7 millions en moins d'un siècle. L'évolution est moins rapide cependant qu'en Grande-Bretagne mais présente les mêmes caractères et le même faisceau de causes et de conséquences. On assiste à une chute de la mortalité, notamment celle des enfants, un allongement de la durée de vie, et la disparition des pics de surmortalité (après la dernière épidémie de peste d'ailleurs limitée à Marseille en 1720).
Les progrès de l'alimentation, le réchauffement du climat, le recul des disettes, l'amélioration de l'hygiène (par exemple le pavage des rues, le ramassage des ordures... le transfert des cimetières hors des agglomérations), le fait que les guerres ne touchent que quelques provinces frontières jusqu'à la Révolution, sont autant de facteurs explicatifs.
On a souvent souligné les deux aspects contradictoires de la Révolution française : d'un côté elle met en place les institutions et les structures d'une économie libérale et capitaliste moderne, en détruisant les restes de la féodalité, en établissant les libertés économiques fondamentales, en affirmant solidement les droits de propriété, et elle rend donc la croissance économique possible.
De l'autre elle entraîne une longue phase de désorganisation et même de chaos économique marquée par l'inflation, la chute de la production, la dislocation des échanges, les pertes humaines et matérielles, qui vont aggraver le retard économique du pays par rapport à l'Angleterre.
Bref, des effets positifs à long terme, et des effets négatifs à court terme. Le malheur est que le court terme ait duré si longtemps : dix ans au mieux de 1789 à 1799, vingt-cinq ans au pire de 1789 à 1815.
On verra tout d'abord les mutations structurelles et institutionnelles que les révolutionnaires ont apporté, puis l'évolution de l'économie française au cours de ce quart de siècle unique de l'Histoire.
Les phases politiques de la Révolution (1789-1815)
*1789-1792 : Monarchie constitutionnelle
– juillet 1789-octobre 1791 : Assemblée nationale constituante
– octobre 1791-septembre1792 : Assemblée législative
*1792-1799 : Ière République
– septembre 1792-octobre 1795 : Convention nationale
– Girondins : septembre 1792-juin 1793 Exécution de Louis XVI : 21 janvier 1793
– Montagnards : juin 1793- juillet 1794 Terreur : 5 septembre 1793-27 juillet 1794 exécution de Danton
(5 avril 1794) ; chute de Robespierre et Saint-Just : 9 thermidor an II (27/7/94)– octobre 1795-9 novembre 1799 (18 brumaire
an VIII) : Directoire
*1799-1815 : Période napoléonienne
– 1799-1804 : Consulat, Bonaparte
premier consul, puis consul à vie (1802)– 18 mai 1804-22 juin 1815 : Ier Empire
1804-1814 : Napoléon Ier
(abdication : 6 avril 1814) avril 1814-mars 1815 : première Restauration des Bourbons avec Louis XVIII20 mars 1815-22 juin 1815 : Cent jours
(retour de Napoléon au pouvoir et défaite à Waterloo, le 18 juin 1815)
* juillet 1815 à juillet 1830 : seconde Restauration : retour de Louis XVIII (1815-1824) puis Charles X (1824-1830)
Dans le monde rural, la nuit du 4 août 1789 mettant fin aux privilèges se traduit par l'abolition des droits féodaux, mais il faudra attendre la loi du 17 juillet 1793 votée par la Convention pour que les paysans tenanciers, enserrés dans les multiples contraintes de l'Ancien Régime, deviennent des propriétaires de plein droit.
La Révolution est d'abord favorable aux paysans qui constituent l'essentiel de la population.
La Déclaration des Droits de 1789 avait affirmé le droit de propriété comme le deuxième droit fondamental de la personne, « inviolable et sacré ». Il va s'appliquer pour la terre : ainsi la liberté de clôture et de culture est affirmée pour tous ces nouveaux possédants.
Les terres confisquées à l'Église, aux victimes de la Terreur
(1793-1794), aux nobles émigrés, celles du domaine royal, constituent les « biens nationaux » et vont être en partie revendues pour faire face aux besoins financiers de l'État.Mais cela permettra surtout une redistribution des terres (une des premières réformes agraires de l'époque contemporaine) à des agriculteurs aisés, des bourgeois, puis des paysans moyens. Une nouvelle voie d'accès à la propriété est ouverte et consolide en France un régime de petite et moyenne propriété paysanne qui va durer jusqu'au milieu du XXe siècle.
À la restauration en 1815, les propriétés des nobles ont été divisées par deux par rapport à 1789 et les terres de l'Église amputées des 9/10. On ne reviendra pas sur cette nouvelle donne.
La Révolution aurait donc fortifié un régime de petites propriétés familiales caractéristique de la France par la suite, à la fois facteur de développement par rapport aux contraintes féodales, et obstacle au développement agraire du fait du morcellement trop poussé des terres. Même si les propriétaires sont incités à mieux gérer leurs terres parce qu'ils en sont maîtres, les surfaces sont le plus souvent trop réduites et les ressources trop faibles pour être exploitées de façon rationnelle et faire l'objet de mécanisation.
La productivité va donc augmenter trop peu, le monde rural ne va pas libérer suffisamment de main d'œuvre au XIXe siècle, et les industries vont voir leur essor freiné en contrecoup par manque de travailleurs. La persistance d'un vaste monde rural en France, par rapport à l'Angleterre ou l'Allemagne, la lenteur de l'exode vers les villes, l'esprit conservateur des Français attachés à la terre, s'expliqueraient ainsi comme un héritage inattendu de la Révolution de 1789.
Le morcellement explique le freinage démographique précoce du pays par le fait que le contrôle des naissances s'exerce en premier lieu dans les campagnes, les paysans désirant limiter le nombre de leurs enfants pour ne pas aggraver un morcellement déjà trop poussé.
Révolution è confiscation de terres è « Biens nationaux » è redistribution de ces terres è régime de petites propriétés familiales è morcellement trop poussé è manque d’efficacité productive è baisse de la natalité paysanne è transition démographique précoce en France
Les mesures égalitaires et interventionnistes comme le maximum des prix de mai et septembre 1793, les réquisitions de grains et produits de première nécessité, l'étatisation du commerce extérieur, la nationalisation de manufactures d'armes, seront limitées à ce qu'on peut appeler l'économie de guerre menée par la Convention, quand le pays est menacé.
Des dispositions limitant les successions et imposant les grandes fortunes ont été prises en octobre 93 et janvier 94. Un enseignement primaire, déjà « gratuit, laïque et obligatoire », est prévu par la loi.
Les décrets de ventôse (février/mars 1794) prévoient de distribuer aux pauvres les biens confisqués aux opposants. Du travail pour tous, des mesures de protection des pauvres sont promis dans la « loi de bienfaisance nationale » du 22 floréal an II (11 mai 1794) qui prévoit par exemple l'assistance médicale gratuite, l'aide aux familles nombreuses, des pensions de vieillesse et d'infirmité. Mais la loi sera de peu d'effet et deux mois après, Saint-Just accompagnera Robespierre
à l'échafaud.
La réaction thermidorienne mettra fin à ces expériences annonciatrices. Par la suite, l'échec de la tentative de coup d'État « communiste » de Gracchus Babeuf
(« premier bolchevik » d'après Lénine) en 1795 (la conjuration des égaux) montre bien que les préoccupations sociales ne sont pas celles de la Révolution.
La Révolution française est considérée depuis Marx
comme une révolution bourgeoise, au sens où la bourgeoisie renverse l'aristocratie dans la lutte de classe qui les oppose.Elle va donc appliquer son idéal, c'est-à-dire les principes du libéralisme économique, en lieu et place des principes corporatistes et mercantilistes, issus du Moyen Âge et de la monarchie absolue.
– Création d'un marché national par la suppression des douanes intérieures (péages et octrois) en octobre 1790 et mars 1791. La circulation des produits et des hommes devient enfin libre et l'unification des poids et mesures (mètre, gramme, litre, etc.), décrétée sous l'influence de Talleyrand, facilite cette liberté nouvelle, entre 1791 et 1795.
– Liberté d'entreprise, par le décret d'Allarde du 2 mars 1791 : les maîtrises, guildes, jurandes et autres corporations de métiers sont abolis, les monopoles des manufactures sont supprimés.
Chacun est libre de lancer n'importe quel type d'activité industrielle ou commerciale s'il dispose des capitaux pour le faire :
« il sera libre à tout citoyen d'exercer telle profession, art ou métier qu'il trouvera bon, après s'être pourvu d'une patente » (art. 8).
Cette patente est un nouvel impôt qui remplace les multiples droits et taxes sur les entreprises.
Les réglementations portant sur la production, normes, qualité, méthodes de fabrication, sont également abolies.
– Liberté du travail, par la loi Le Chapelier
du 14 juin 1791 : cette loi fameuse supprime toutes les réglementations du travail existantes et interdit les coalitions ouvrières ou patronales, de même que la grève. Elle instaure un marché libre du travail.Par la suite, la loi Le Chapelier est devenue un instrument de contrôle sur les ouvriers par la bourgeoisie, jusqu'à l'obtention tardive du droit de grève (1864) et de la liberté syndicale (1884).
Les régimes politiques en France au XIXe siècle – Napoléon Ier, les Bourbons, Louis-Philippe, le second Empire, la IIIème République des notables – sont essentiellement conservateurs (la Révolution ne l'emporte qu'en 1848 et la IIème République, progressiste et réformatrice, ne dure que trois ans) et utiliseront la loi à des fins de répression.
Le premier Empire, très réactionnaire en matière sociale, va inaugurer cette attitude avec la création du livret ouvrier en 1803, « véritable passeport intérieur », qui renseigne l'employeur sur le passé du travailleur lors de l'embauche éventuelle.
Le marché libre du travail substitue aux anciennes protections et sécurités d'emploi issues des corporations du Moyen Âge, un système qui exige la mobilité du travail, plus dynamique et favorable à l'innovation, mais dans lequel les travailleurs sont exposés à l'exploitation, à la misère et au chômage, sans aucune protection sociale et sans avoir au départ aucun moyen de se défendre.
L'esclavage est aboli sur le territoire national en 1791 et dans les colonies le 16 pluviôse an II (4 février 1794) : « La Convention... décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies sont citoyens français et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution. »
Les créoles, propriétaires d'esclaves vont s'opposer à la loi décrétée sous l'influence de Danton.
L'esclavage sera rétabli par le premier consul par la loi du 20 floréal an X (10 mai 1802)
et la traite des esclaves interdite en 1815 par les clauses du traité de Vienne (1807 en Angleterre).
Quant à l'abolition de l'esclavage lui-même, elle devra finalement attendre la révolution de février 1848 et la loi du 27 avril 1848 en France (1834 en Angleterre).
1794 Abolition de l’esclavage en France
1802 Rétablissement
1807 Abolition de la traite par la GB
1815 Abolition de la traite étendue aux autres pays européens
1834 Abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques
1848 Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises
1865 Fin de la guerre de Sécession, abolition de l’esclavage dans les États du sud des Etats-Unis.
En matière de finances publiques, des règles modernes sont élaborées, à la place de l'arbitraire monarchique : le budget est débattu par le Parlement où il devient la loi de Finances, dont l'exécution est ensuite soumise à son contrôle.
L'impôt est perçu directement par l'État et la vente des fonctions publiques (vénalité des offices) est supprimée.
Le principe de l'égalité de tous devant l'impôt est affirmé dès la Déclaration des Droits de l'Homme du 26 août 1789 (art. 13). Tout le système fiscal passé, archaïque, complexe, inefficace et injuste, est supprimé en 1790-91.
Une réorganisation est opérée qui se traduit en une contribution proportionnelle au revenu frappant surtout le monde rural (la contribution foncière fournit 65 % des recettes en 1799) et un système de forfait assez léger (la patente) qui touche les industries et les activités commerciales.
Impôt proportionnel (Impôts indirects, ex. TVA)
ex. 5 % du revenu
Taux d’imposition fixe
Impôt augmente avec le revenu
Répartition des revenus inchangée
1914
Impôt progressif (auj. IR)
Taux d’imposition variable, qui augmente avec le revenu, ex. :
0 % plus pauvres
5 % Revenu X
10 % Revenu Y > X
etc.
Impôt augmente, plus vite que le revenu
Redistribution des revenus
Ecarts sociaux (inégalité sociale) réduits par l’impôt progressif
Recettes à l’État
Redistribution, correction des inégalités sociales
Impôt régressif : impôt forfaitaire
Impôt est le même pour tous (en montant absolu)
Taux d’imposition est variable
Taux d’imposition baisse avec le revenu
Inégalités
Aggrave les écarts de revenu, l’inégalité sociale
Sous la Révolution, les recettes seront cependant chroniquement insuffisantes, un déficit budgétaire permanent ne sera réglé que par des expédients inflationnistes et même hyperinflationnistes : la création de monnaie sous la forme des fameux assignats gagés sur les biens du clergé (1789 à 1796).
Cependant la première République et l'Empire ont réussi à mettre en place une organisation monétaire durable basée sur le Franc et la Banque de France :
– Décimalisation de la livre tournois le 17 frimaire an II (7 décembre 1793) : les sous et les deniers sont remplacés par les décimes et centimes.
Livre : Pound
Sous : shillings (20 dans une £)
Deniers : penny, pence (12 dans un sh.)
– le franc remplace la livre le 18 germinal an III (7 avril 1795). Il est défini par un poids de 4,5 grammes d'argent pur, mais reste une unité de compte, sans apparence matérielle.
– le franc est émis sous forme de pièces et de billets à partir de la loi du 7 germinal an XI (27 mars 1803) qui le définit par rapport à l'or (290 mg d'or pur). C'est le franc germinal qui va rester stable jusqu'en 1914.
Entre-temps la Banque de France avait été créée le 24 pluviôse an VIII (13 février 1800). Elle pratique l'escompte et le réescompte des effets de commerce et reçoit le monopole d'émission des billets pour Paris en 1803.
Au départ les billets ne jouent qu'un rôle mineur, du fait d'une politique d'émission excessivement prudente de la Banque, qui s'explique par les mauvaises expériences du pays avec la monnaie papier.
Il s'agit d'une banque privée qui compte 200 actionnaires dont nombre de banquiers de l'Ancien Régime et qui contribuera avec un succès considérable à la stabilité monétaire du XIXe siècle.
La Révolution se paye en termes économiques par un véritable effondrement.
Après 1792, les guerres extérieures, la guerre civile en Vendée et en Bretagne, les soulèvements à Lyon
et dans le Midi,
le départ des émigrés, la répression montagnarde contre les milieux d'affaires (banquiers, financiers, industriels),
se traduit par une crise générale caractérisée à la fois par la chute de la production et par l'inflation accélérée, pour les raisons indiquées plus haut.
La misère s'étend et des famines frappent les villes : pendant le Directoire, en 1795, après la suppression du maximum (déc. 1794), des mères se suicident avec leurs enfants à Paris pour ne pas subir les tourments de la faim et du froid.
En 1800 l'activité industrielle ne réprésentait plus que 60% du niveau de 1789.
Pour Chaunu la Révolution provoque un véritable « déclassement » de la France à une époque cruciale :
Le déclassement de la France est la conséquence de la décennie sanglante : en huit ans, de 1792 à 1800, tout est gaspillé. Une étude récente établit à 1 050 000 le niveau des pertes totales... La ponction sur l'intelligence et la capacité créatrice de la France fut irrémédiable en ce moment décisif de la mutation, en l'instant donc de la plus grande fragilité. Proportionnellement ce niveau excède celui des pertes françaises de 1914 à 1918.
L'Empire rétablit un climat plus favorable au développement économique avec le rétablissement à l'intérieur de la paix civile et religieuse et la stabilisation monétaire.
Il crée aussi tout un cadre institutionnel et juridique moderne (départements, chambres de commerce, conseils de prud'hommes, code civil, code pénal, code de commerce) et réorganise l'administration (préfets, grandes écoles).
Cependant ses guerres entraînent un affaiblissement irrémédiable du potentiel du pays. On estime les pertes à un demi à un million de morts, qui vient s'ajouter au million de « la décennie sanglante » (Chaunu), au long des nombreuses et glorieuses batailles de l'épopée napoléonienne.
La production agricole stagne pendant toute la période révolutionnaire : on estime sa progression à 0,27% l'an entre 1781 et 1812, soit à peu près le même rythme que la croissance démographique, c'est-à-dire une stagnation de la production alimentaire par habitant dans le pays.
Situation qui n'est guère étonnante si on considère la désorganisation subie par les activités agricoles du fait de la mobilisation générale et des pertes humaines.
Napoléon va s'efforcer de développer des industries nationales et d'intégrer
l'Europe dans une sorte de « marché commun » avant la lettre.
La France étendue à la Belgique et comptant 130 départements est la principale économie industrialisée de cet ensemble européen et elle impose aux pays dominés des relations inégales. Ils sont surtout là pour fournir des marchés et des matières premières.
Mais le commerce continental ne saurait remplacer le commerce atlantique :
les échanges extérieurs de la France sont divisés par deux en 1814 par rapport à 1788.
Les grands ports sont sinistrés de même que les industries de leur arrière-pays : « à Bordeaux ... l'herbe pousse dans les rues... le port est désert... » (lettre du consul américain en 1808) ; « ...la ville a perdu le tiers de ses habitants » ; les raffineries de sucre y passent de 40 à 8, les fabriques de tabac et de peaux, les industries alimentaires, les industries textiles, sont anéanties ; à Marseille la production industrielle est divisée par 4 entre 1789 et 1813.
Les États-Unis servent d'intermédiaire pour l'Empire, dans des échanges qui deviennent indirects avec les colonies, leur propre commerce connaît un essor foudroyant, contrepartie des dégâts irréparables subis par les pavillons français.
En fait la flotte américaine devient la deuxième dans le monde, et prend la place de la France à l'issue du conflit.
L'industrie sous Napoléon se redéploie des régions maritimes vers les régions du nord-est.
Une véritable politique agro-industrielle est mise en place, s'exerçant tous azimuts (tabac, coton, élevage, plantes tinctoriales, sucre, mais aussi routes, bâtiments, travaux publics).
Les résultats sont favorables pour des activités comme le sucre, la soie, les industries chimiques, les industries métallurgiques liées à l'armement. L'industrie du coton poursuit son essor, avec une croissance annuelle d'environ 4%, résultat remarquable étant donné l'irrégularité des approvisionnements provoquée par le blocus.
Mais l'extraction du charbon se ralentit, et la laine, le lin, le chanvre, perdant leurs débouchés coloniaux, déclinent.
La croissance industrielle n'aurait été que de 0,6% en France pour l'ensemble de la période révolutionnaire (1781-90 à 1803-12), soit bien plus faible que dans les dernières décennies de l'Ancien Régime (2 à 3%) et plus faible aussi qu'en Angleterre à la même époque (2,6% entre 1790 et 1811).
Au total la période du Consulat et de l'Empire semble être plus pour l'économie française « une phase de relèvement incertain et incomplet » (Asselain), que « la première phase de la révolution industrielle » décrite par Soboul.
En définitive deux facteurs décisifs expliquent le bilan globalement négatif des conséquences économiques de la Révolution :
– La rupture des échanges atlantiques à un moment où le commerce extérieur était à son apogée et exerçait des effets industrialisants considérables. Elle est aggravée par l'arrêt du transfert des techniques anglaises et la perte presque totale des colonies après la défaite finale. Crouzet affirme avec force « qu’en 1815, le grand commerce maritime français, tel qu'il avait existé au XVIIIe siècle, était mort et ne devait pas ressusciter ».
– L'atteinte au potentiel humain du pays après vingt-trois ans de conflits avec le reste de l'Europe, et de batailles de Madrid à Moscou et du Danemark à la Syrie. Il suffit de rappeler qu'en 1918, des pertes équivalentes (près d'un million et demi de morts), mais dans un pays bien plus peuplé, ont été à l'origine du déclin de l'entre-deux-guerres.
La France cède la place à l'Angleterre comme première puissance politique et économique en Europe et dans le monde au XIXe siècle. De plus, la culture suivant l'économie, le français va laisser définitivement à l'anglais son rôle de langue internationale.
Un des débats majeurs de l'histoire économique des dernières décennies, qui s'est surtout déroulé dans les pays anglophones, a porté sur la France, avant, pendant et après la révolution industrielle. Longtemps considérée comme retardataire, elle apparaît maintenant sous un nouveau jour, celui de pays initiateur ayant forgé au XVIIIe siècle, à côté de l'Angleterre, l'économie, les échanges, les techniques, les institutions, les comportements démographiques et les mentalités de la modernité. Cette révision du dogme des historiens sur la primauté britannique est confortée par l'idée qu'il n'existe pas de modèle du développement économique et que la voie anglaise est loin d'être unique. Ce qui compte c'est finalement le résultat, et à l'arrivée, la France, comme les autres pays développés, jouit d'un niveau de vie équivalent à celui de la Grande-Bretagne. L'idée qu'elle n'a pas eu à subir les mêmes traumatismes sociaux que celle-ci, et que finalement sa voie a été plus "douce", idée commune à nombre d'auteurs anglo-saxons, peut cependant être contestée au vu des conditions ouvrières et paysannes au cours du processus d'industrialisation.
L'agriculture reste très en retard en France au siècle des lumières, en comparaison de l'évolution des pratiques anglaises. Les tenanciers sont écrasés par un système reposant sur les privilèges et l'arbitraire fiscal. Cependant des changements apparaissent et en tout cas les idées énoncées par les physiocrates
sont favorables à des réformes avant tout dans le monde rural. La plus importante est la libre circulation des grains à l'intérieur et vers l'extérieur, qui sera finalement réalisée par la monarchie avec des lois échelonnées entre 1754 et 1787. La diffusion des techniques de rotation des cultures, l'apparition des plantes américaines, la spécialisation et la commercialisation sur le marché national, le recul de la jachère, commencent de cette époque. Les progrès de la démographie témoignent d'une meilleure alimentation et donc de l'accroissement de la production alimentaire par tête, estimée à 20% sur le siècle.L'industrie est encore largement une industrie rurale émiettée (proto-industrialisation). La mécanisation et les premières fabriques de grande taille n'apparaissent qu'à la fin de l'Ancien Régime. Les machines à vapeur, les métiers à filer et à tisser traversent la Manche et sont utilisées, puis fabriquées en France, souvent à l'initiative de l'État royal qui dans ce domaine joue un rôle modernisateur. La méthode de fonte au coke est lancée dans la vaste usine du Creusot en 1785. De nombreuses inventions comme celles de Berthollet, Vaucanson, Jacquard, de Girard ou Leblanc, sont le point de départ d'une mutation dans les industries textiles et la chimie naissante.
La modernisation du système monétaire, tentée trop tôt avec Law
en 1720, va échouer, et la France, malgré le développement de ses banques, souvent contrôlées par des Suisses francophones et protestants (comme Necker qui devient le ministre des Finances de Louis XVI en 1776 puis en 1788), accuse du retard sur l'Angleterre dans l'utilisation de la monnaie fiduciaire et scripturale. De la même façon l'échec de la Banque royale de Law explique la fondation tardive de la Banque de France.Le grand commerce français connaît son apogée au XVIIIe siècle. Les îles des Antilles
comme Haïti fournissent l'essentiel des produits tropicaux grâce au trafic et à l'exploitation des esclaves: sucre, indigo, coton, tabac et café. L'essor est prodigieux même si la France échange encore davantage avec les autres pays européens qui représentent les 2/3 de ses exportations. Les régions maritimes sont les plus développées du royaume et le commerce extérieur représente un moteur puissant de l'industrialisation. Un accord de libre-échange est signé avec la Grande-Bretagne en 1786 pour lutter contre la contrebande. Les exportations entre les deux pays sont multipliées par trois pour la France et six pour l'Angleterre. Cependant les industries textiles françaises concurrencées traversent une crise dont les effets viennent s'ajouter aux crises frumentaires des dernières années de l'Ancien Régime, crises qu'il est difficile de ne pas relier aux évènements qui vont bouleverser le monde à partir de 1789. Le régime monarchique ne saura pas se réformer et se libéraliser. La tentative de Turgot et des physiocrates au pouvoir entre 1774 et 1776 sera la dernière chance de la royauté et son échec se traduira par une crispation sur des privilèges archaïques ne laissant aucune chance aux changements progressifs.Le XVIIIème siècle se caractérise par la croissance de la production agricole, industrielle et celle des échanges, ainsi que par la montée continue des prix. La tourmente révolutionnaire va se traduire tout d'abord par un effondrement de la production accompagnée d'inflation galopante pendant la période des assignats, de 1789 à 1796. La stabilité et les institutions de l'Empire permettront une reprise économique, surtout industrielle, mais qui ne constitue qu'un redressement fragile. Le développement du coton est remarquable dans un environnement défavorable où les approvisionnements sont difficiles. Le commerce extérieur connaît en effet une rupture brutale du fait du blocus continental et maritime. Les ports et leurs provinces ne s'en relèveront jamais totalement et les marchés européens du Grand Empire ne pourront jamais jouer le même rôle entraînant. La carte économique de la France est complètement bouleversée: ce sont les régions de l'est qui seront les plus industrialisées et non les régions de l'ouest comme au XVIIIe siècle. L'axe Cherbourg-Marseille
entre la France industrielle d'un côté, et rurale de l'autre, bien connu des écoliers, est la conséquence de la Révolution.Le rôle économique positif de celle-ci réside dans la mise en place d'institutions et d'un système juridique modernes, à côté d'une économie de marché où l'entreprise privée peut se développer. Les lois votées par les Assemblées et la Convention pour le monde rural mettent fin aux droits féodaux, transforment les paysans en propriétaires et permettent la redistribution d'environ un dixième des terres par la vente des biens confisqués aux émigrés et à l'Église. Dans le domaine industriel et commercial, elles créent un marché unifié sur le territoire national et mettent fin aux corporations en affirmant le principe de la liberté d'entreprise (décret d'Allarde, 2 mars 1791). La loi Le Chapelier du 14 juin 1791 est à l'origine de la formation d'un marché libre du travail et interdit les coalitions ouvrières et patronales. Elle sera utilisée pendant près d'un siècle pour tenter d'empêcher les grèves et le développement des syndicats. Les réformes sociales de la Révolution auront peu d'effet et se limiteront à l'économie dirigée de l'an II, quand la nation doit se mobiliser face aux risques d'invasion étrangère. La République et l'Empire réforment enfin la monnaie et les finances du pays: la livre est transformé en franc, défini en argent puis en or (1795 et 1803). La Banque de France est fondée par Bonaparte en 1800.
La Révolution de 1789 était inévitable du fait de l'incapacité du régime monarchique à se réformer. Même s'il en avait la volonté, il n'a pu faire plier les intérêts conjugués de tous les privilégiés: depuis les corporations et les parlements jusqu'aux aristocrates, les courtisans et l'Église. Le coût économique et humain de la Révolution a été considérable: il a fait reculer la France en Europe et sans doute retarder la révolution industrielle en cours à la fin de l'Ancien Régime. L'effondrement des échanges et la perte de plus d'un million d'hommes en sont les deux principaux aspects.